[a vu kòNakZa] (form. ritu. TF1)
Dans la longue liste des codes secrets (de ceux pouvant déclencher une opération de débarquement sur les côtes normandes ou le largage d’une bombe H sur une citée nippone) on trouve une formule réservée à l’usage de nos-envoyés-spéciaux-en-direct-devant-le-palais-de-l’Elysée ou de quelque lieu du genre auquel le commun des téléspectateurs n’accédera jamais (ligne d’arrivée du Tour de France, scène de crime, salle de réunion hyper secrète avec des gens super importants, etc.).
C’est du moins en ces temps surannés l’analyse vulgum pecus du à vous Cognacq-Jaÿ qui fait disparaitre dans l’hyper-espace les fameux nos-envoyés-spéciaux-en-direct-devant-bla-bla-bli-bla-bla-bla. À vous Cognacq-Jaÿ résonne un peu comme le « Spock à l’inter » de Star Trek, autre formule énigmatique qui précède elle aussi une rupture dans l’action et nous annonce qu’il va se passer un truc capital.
Quand le nos-envoyés-spéciaux-en-direct prononce la formule rituelle à vous Cognacq-Jaÿ, sait-il seulement qu’il ne se contente pas de renvoyer la balle à l’homme tronc en plateau (celui qui nous dit que la France à peur, avec une ride barrant un front soucieux et des poches sous les yeux pour nous montrer qu’elle a bien raison d’avoir peur et que c’est certainement parce qu’elle entend mugir dans nos campagnes ces féroces soldats qui viennent jusque dans nos bras égorger nos fils, nos compagnes), et que Cognacq et Jaÿ se sont aimés ? Qu’ils ont été heureux et bienveillants et que c’est aussi pour cela qu’un trait les unis et qu’une rue de Paris porte leurs patronymes ?
Ernest Cognacq rencontre Marie-Louis Jaÿ à La Nouvelle Héloïse, grands magasins de nouveautés 14 rue de Rambuteau – Paris, vers 1856, mais il attendra 1872 pour épouser celle qui va aussi devenir son associée dans l’aventure de La Samaritaine qu’ils vont créer ensemble. Amateurs d’art, philanthropes éclairés, Ernest et Marie-Louise vont aussi bâtir la fondation qui porte leur nom, prouvant au passage que la France ne fait pas qu’avoir peur et qu’elle sait aussi se montrer solidaire (mais ceci est une autre histoire). Et de fil en aiguille, donner leur nom à une rue du 7ᵉ arrondissement parisien le 11 janvier 1928.
De 1975 à 1992, TF1 occupera l’immeuble du 13-15 rue Cognacq-Jaÿ (de quoi annoncer plus de cent mille à vous Cognacq-Jaÿ selon des calculs les plus précis possibles), succédant en ces lieux aux première, deuxième et troisième chaînes de l’ORTF, à RTF Télévision, à RDF Télévision et à la Fernsehsender Paris de l’occupant qui diffusait des programmes destinés à distraire ses féroces soldats hospitalisés¹.
À vous Cognacq-Jaÿ devient une expression inutile en mai 1992. La première chaîne de télévision française file s’installer en banlieue, dans un bâtiment à sa gloire et une rue anonyme. Les nos-envoyés-spéciaux-en-direct s’essayeront bien à un à vous Boulogne², mais on sent que le cœur n’y est plus.
À vous Cognacq-Jaÿ disparait et la télévision des années surannées avec elle.