[aSté a la butik‿ a trèz] (loc. dépréc. 13)
Il existe une hiérarchie occulte des commerces de proximité du centre bourg français.
En haut siège le boucher tout taché et costaud (comme le chantait l’anonyme interprète de Rue Gama) avec le boulanger à sa droite et l’épicier à sa gauche pour compléter cette païenne et commerciale trilogie. Viennent ensuite le maraîcher, le marchand de couleurs, le kiosquier, le fleuriste, sachant que le tenancier du Balto est classé hors catégorie.
Ce n’est qu’en queue de classement qu’on retrouve la boutique à treize, ce joyeux et poussiéreux bazar où se vendent babioles à treize sous et où cent balles font la rue Michel pour acquérir colifichets, breloques et fanfreluches.
Acheter à la boutique à treize consiste ce faisant à se procurer des trucs et des bidules pour bien peu, et par extension à acheter des objets au choix laids, fragiles ou inutiles.
À la fin du XIXe siècle, l’impératrice María Eugenia Ignacia Agustina de Palafox y Kirkpatrick, comtesse de Teba, dite Eugénie de Montijo, épouse de Napoléon III, décide qu’il n’y aura pas de numéro 13 dans la très chic rue du Faubourg Saint-Honoré (Paris VIII) marquant son désaveu pour la boutique à treize qu’on aurait pu y trouver. Elle est ainsi la première à jeter l’opprobre sur la boutique à treize et à transformer sa paraskevidékatriaphobie en une expression qui connaîtra une belle carrière.
« Tu l’as acheté à la boutique à treize ton mange-disque ? » soulignera dès lors la piètre qualité sonore de l’appareil censé partager un riff des Yardbirds (version Clapton ou Page) et transformant le 45T en vague complainte nasillarde. De même, « ce magnifique cardigan ne proviendrait-il pas de la boutique à treize » n’est pas non plus un compliment sur votre vêture s’il vous est adressé. La remarque est cependant formulée avec tant de tact et de subtilité que le concerné pourra corriger la bévue et se rendre, la prochaine fois, dans une échoppe du Faubourg Saint-Honoré par exemple où l’artéfact facturé hors de prix sera évidemment de bon goût.
L’avénement d’une époque dans laquelle pour cent balles t’as plus rien – et donc encore moins pour treize sous – sonnera le glas du petit commerce.
Acheter à la boutique à treize devient la plus désuète des façons de consommer d’autant que, peu au fait des techniques modernes, elle ne possède aucun site Internet pour y vendre ses falbalas criards et affiquets en verroterie.
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