[ayʁi də ʃajo] (subs. GÉO.)
Mon arrière grand-mère roulait les « r » et c’est peut-être la raison pour laquelle j’ai mis quelques années à comprendre ce bon mot suranné que voilà. Tel que je l’entendais je le croyais rangé dans la catégorie des invectives mais que nenni mon bon ami ! Il vous faut bien admettre qu’il est un peu complexe. À moins que vous ne l’utilisiez chaque jour et qu’alors vous soyez totalement suranné (c’est techniquement possible) il est probable que vous aussi y auriez entendu « abruti ». Mais ce n’est que de surprise dont il s’agit ici, point de bêtise.L’ahuri de Chaillot habite là-haut sur la colline et de son piédestal il toise la capitale. Au Moyen-Âge déjà (soit au début du suranné) ce monticule géologique de trois kilomètres de long est le lieu de villégiature des puissants et des riches. Pendant des siècles on y est bien, loin de l’agitation de la Cour des miracles. Mais ceci ne va pas durer plus. Voici qu’un beau matin de 1659¹ (on est toujours en époque surannée) nos élégants et tous leurs paysans (oui on cultive à Chaillot) se retrouvent intégrés à la masse populace. Chaillot est de Paname. C’est un édit du Roi qui nous le dit. Ses habitants en sont atterrés, ahuris. De leur soudaine stupeur naît l’expression. L’ahuri de Chaillot passera à la postérité comme le benêt qui n’avait pas vu venir la duperie, le niais.
Certains se méprenant y lisent une méprise des citadins pour le monde campagnard : il n’en est rien. Point de pécore ou de bouseux condescendant derrière un ahuri de Chaillot lancé bien haut. Juste une réprimande bien tancée pour faire savoir qu’il y a d’autres attitudes à adopter que celle du lapin pris dans les phares aveuglants de la voiture une nuit sans lune sur une route de campagne pour s’en sortir. Ahuri de Chaillot c’est un « secoue-toi un peu les puces » (autres expression surannée), un « remue-toi le popotin », un « mais ma pauvre fille bien entendu que les hommes sont tous des ***** », soupiré devant la naïveté portée en étendard par un être auquel on tient et qui nous navre par sa crédulité.
Je me suis fait rouler dans la farine tant de fois dans ma vie que je crois pouvoir prétendre légitimement à un appartement sur cette colline devenue quartier chic, de préférence avec vue sur la dame de fer (tant qu’à passer pour un niais autant avoir un point de vue). Ahuri de Chaillot je suis et ahuri de Chaillot je demeure, estomaqué par la crasse bêtise de certains, par la capacité de trahison des autres, par l’inconstance des uns, par la vacuité des actes de ceux se pensant bien malins. Mais au fond je m’en fous, depuis mon quartier de Chaillot j’ai une belle vue sur Paris.
🎶J´ai une belle vue sur Rio
Du haut de mon ghetto
Il paraît qu´à la ville,
La vie est plus facile🎶🎶Il n´y a pas que des chansons d´amour
Sous le soleil de tous les jours🎶🎶
4 comments for “Ahuri de Chaillot [ayʁi də ʃajo]”