[ale o madlɔnɛt] (loc. n. com. CHÂTI.)
Certaines expressions de la langue surannée ont une belle histoire… Ou pas.
Par une nuit de 1618, Robert de Montry, riche marchand de vin, rentre chez lui. On l’imagine aisément fatigué par sa dure journée de négoce, peut-être même un tant soit peu enivré d’avoir goûté quelques uns de ses produits, conscience professionnelle oblige.
Robert croise deux jeunes femmes elles aussi dans le commerce, mais de leurs charmes, lui indiquant chercher non pas le micheton mais plutôt le droit chemin. Charitable, le bon homme décide de les héberger puis de créer pour elles et leurs consœurs le couvent des Madelonnettes, sis rue des Fontaines dans le IIIᵉ arrondissement parisien. Non pas pour en faire le plus grand bordel de Paris mais bel et bien un lieu de rédemption (Robert est pieux).
Les Madelonnettes où l’on retrouve quelques années plus tard tout ce que la capitale compte en filles jugées légères par l’opinion, par leur famille ou par les juges. D’œuvre de charité le lieu est devenu prison…
Aller aux Madelonnettes va s’installer ainsi comme une menace d’enfermement de toutes les donzelles que la damnation guette pour cause de décolleté profond ou de jupon flottant, puis de pensée différente de celle des braves gens qui n’aiment pas qu’on suive une autre route qu’eux. En général l’avertissement est le dernier d’une longue liste ayant commencé par « je compte jusqu’à trois, un, deux, deux et demi… trois », suivi de « si ça continue faudra que ça cesse », puis « c’est la dernière fois que je le dis », « le Père Noël voit tout », pour finir à « tu vas aller aux Madelonnettes« .
En 1656 l’affriolante Ninon de Lenclos ira aux Madelonnettes, poussée là par Anne d’Autriche qui souhaitait montrer patte blanche aux tartufes. C’est dire si on y croise du beau monde¹.
Jusqu’en 1790, date à laquelle la vindicte révolutionnaire fera fermer l’établissement² pour victimes de la séduction qui avaient fait un retour sur elles-mêmes – selon la formule consacrée³ – aller aux Madelonnettes résonne comme un châtiment corrigeant les mœurs olé-olé.
Entre temps l’établissement a ouvert des succursales en France et en Europe, contribuant largement à diffuser l’expression dans le langage courant.
En 1865 le baron Haussmann, prit d’une frénésie moderniste, se met à tout casser dans Paris.
Les Madelonnettes valsent avec le percement de la rue de Turbigo et le lycée Turgot hérite de ce qu’il reste des bâtiments. Aller aux Madelonnettes tombe peu à peu en désuétude même si les nouveaux occupants des lieux s’y rendent parfois sous la contrainte d’une autre injonction qui deviendra surannée à son tour : passe ton bac d’abord. Mais ceci est une autre histoire.