[ètre kòm lan de byridâ] (loc. verb. PHILO.)
Ceux qui reçurent l’enseignement du doute professé par Joannes Buridanus, Jean Buridan pour les intimes, philosophe français et docteur scolastique, ne peuvent plus témoigner. Le XIVᵉ c’est loin. Le siècle, pas l’arrondissement, enfin : Jean Buridan, 1292-1363.
Semblablement, où est la royne
Qui commanda que Buridan
Fust gecté en ung sac en Saine ?
Le brillant homme que voilà, qui trimballa en sus une once de réputation lubrique en étant supposé visiteur de la Tour de Nesle¹ (mais ceci est une autre histoire), aurait tel un Sancho Panza, régulièrement glosé sur son âne, faisant du paisible animal un symbole funeste de l’aboulie et du dilemme, et surtout lui permettant ainsi de traverser les temps jusqu’aux prémices modernes, portant comme bât une belle expression : être comme l’âne de Buridan.
Osons écrire que n’est pas comme l’âne de Buridan qui veut. Oui c’est osé car justement, l’âne de Buridan n’arrive pas à vouloir. Et arriver à vouloir être un être qui n’arrive pas à vouloir c’est vraiment fort, n’est-il pas ?
L’histoire du docte barbacole contait qu’un âne affamé et assoiffé, attaché à un piquet, se trouvait fort marri ne sachant décider s’il devait aller vers une botte de foin ou vers un seau d’eau, tous deux largement à portée. D’hésitation en hésitation, de reculade en avancée, le baudet finissait par mourir, plus de son raisonnement que de sa soif ou de sa faim même si c’est bien l’une et l’autre qui avaient raison de son corps.
Être comme l’âne de Buridan pouvait s’entendre, d’une bouche impatiente et savante, quand j’hésitais entre une sérieuse île flottante ou un plus puéril Pouss-Pouss en dessert, quand la tarte tatin me tentait tout autant qu’un bon tiramisu, quand, plus tard, j’aurais aimé goûter et Bordeaux et Bourgogne; et aujourd’hui quand entre blonde et brune², chacune des deux me propose d’étancher ma soif, me voici à nouveau comme l’âne de Buridan…
Les braiements de l’âne de Buridan se sont tus. Être comme l’âne de Buridan a rejoint sur les étagères poussiéreuses du parler suranné, ses complices bannis d’une modernité qui nous prie d’agréer l’expression de son plus profond mépris en nous imposant de ne pas trop douter (d’elle). Pour ceux qui lui obéiront il y a la carotte, pour ceux qui refuseront il y a le bâton : plus aucune raison d’hésiter, plus aucun besoin d’être comme l’âne de Buridan.