[arivé kòm ɡruSi] (loc. verb. NAPO.)
On peut être maréchal d’Empire, comte de l’Empire, Grand aigle de la Légion d’honneur, pair de France, avoir son nom inscrit sur l’Arc de triomphe et entrer dans l’histoire par une porte dérobée.
Emmanuel de Grouchy, marquis de Grouchy, avait pourtant donné de sa personne sur les champs de bataille et son grand dévouement à la cause impériale aurait dû lui rapporter l’éternelle satisfaction de finir en boulevard. Las, de tous les maréchaux, notre brave Grouchy n’aura même pas ses quatre voies parisiennes et son tram au milieu.
Il ne sera jamais autant prononcé que Poniatowski, Soult, Davout, Mortier, Serurier, Macdonald, Ney, Bessières, Berthier, Gouvion-Saint-Cyr, Lannes, Suchet, Murat, Victor, Lefebvre, Brune, Jourdan, Kellermann ou Masséna. Cela dit, est-ce là un bien grand mal parce que la circulation sur les maréchaux ce n’est pas l’idéal (mais ceci est une autre histoire).
Si le marquis reste dans le langage ce n’est pas dans celui du GPS mais dans l’expression du retard : arriver comme Grouchy est donc son heure de gloire. Tout ça parce que le délicat voulait finir ses fraises plutôt que marcher au son du canon qui lui donnait l’ordre de se positionner entre Prussiens et Anglais avec ses trente quatre mille grognards et ses cent huit canons.
Mais Grouchy arriva comme Grouchy comme on ne disait pas encore, et Waterloo devint le nom d’une place que je n’irai jamais voir. Tout ça pour quelques fraises…
Cinquante années plus tard Jacques Offenbach et son opéra bouffe tentèrent vainement de faire oublier ce fatal atermoiement avec des paroles qui mirent en scène des carabiniers peu pressés :
Nous sommes les carabiniers, La sécurité des foyers.
Mais, par un malheureux hasard, Au secours des particuliers, Nous arrivons toujours trop tard !
Malgré le succès des Brigands, arriver comme Grouchy demeura l’allégorie de l’ajournement ridicule. Remarquons la tentative louable d’arriver après la bataille qui fit aussi ce qu’elle pouvait pour pousser dans les limbes arriver comme Grouchy, mais qui n’y parvint pas.
Fait rare, c’est une autre expression désuète qui supplanta arriver comme Grouchy : sucrer les fraises pris le pas sur sa consœur dans la légende du fiasco napoléonien. On imputa à la gariguette et la mara des bois les causes de la défaite. Arriver comme Grouchy perdit sa place dans la langue au profit d’un dessert.
Le destin en eut été changé s’il l’avait ramenée (sa fraise) : on aurait alors dit qu’arriver comme Grouchy c’était débarquer juste à temps pour botter le Prussien et l’Anglais. Et j’aurais pu aller à Waterloo.
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