[o bu dy kɛ le balo] (interj. ferrov. IDIO.)
Pour envoyer promener le briseur-menu, le langage suranné a prévu le très policier et assez peu policé circulez, y’a rien à voir.
Le fauteur de trouble sur voie publique entend généralement la chose et débarrasse le plancher illico, son intuition ou son expérience lui indiquant que le prochain avertissement sera fait à la gomme à effacer le sourire.
N’y voyant certainement pas assez de mesure et de politesse, cette même langue a aussi prévu le plus cheminot au bout du quai les ballots. La formule n’en reste pas moins une façon d’éconduire l’importun en l’orientant dans une direction où il pourra aller voir si son interlocuteur y est. Certes l’absence d’un verbe conjugué à l’impératif atténue la pression, mais le terme ballot qui désigne évidemment le gêneur est tout de même un soufflet bien senti.
Au bout du quai les ballots arrive dans le langage par le train de 7h42, voie B, quatre minutes d’arrêt, et sa cohorte de badauds venus admirer la Mikado 141R et son panache de vapeur. Les casse-pieds qui montent sur ceux du chef de gare allant jusqu’à lui couper le sifflet, vont se voir rabroués avec ce technique au bout du quai les ballots qui s’étendra rapidement à toute situation du même genre, hors réseau ferré national s’entend. Il nous faut préciser que dans ces années surannées la Société Nationale des Chemins de fer Français jouit d’un certain prestige – le train c’est le progrès – et diffuse ainsi fortement son sociolecte dans la société civile¹.
Au bout du quai les ballots est donc initialement une invitation à aller se ranger au niveau du fourgon à bagages, là où doivent se trouver les ballots et autres trucs encombrants. Ici ce sont les premières classes fréquentées par le beau monde, pour les gredins et les idiots, voyez là-bas après la troisième classe.
L’arrivée de la 1 Bo de la Compagnie des Chemins de fer de Paris à Lyon et à la Méditerranée, prototype de locomotive électrique alimentée en 360 V par accumulateurs, fascinera elle aussi le promeneur qui se fait repousser à grands coups de au bout du quai les ballots, asseyant l’expression pour ce qui s’annonce alors comme une éternité.
Mais une idéologie moderne promouvant l’efficacité et la rentabilité en tout (y compris en acheminement de colis et paquets qui pour leur part n’avaient rien demandé, mais ceci est une autre histoire), va pousser au bout du quai les ballots dans l’oubli suranné.
La création du SERNAM (SERvice NAtional des Messageries) par de zélés gestionnaires va faire quitter les quais à toutes les marchandises pour les contraindre à se cacher dans des zones obscures de la ville où pas un curieux ne s’aventure pour admirer les trains et encombrer les quais.
Plus de raison de vociférer au bout du quai les ballots ! Allez hop, circulez, y’a rien à voir.