[avwar de la paj dâ lé sabo] (loc. pays. PROVIN.)
Si le charme enjôleur des ingénues provinciales prêtes à croire le moindre coureur de prétentaine qui leur propose la botte n’est plus à dire, l’attitude plus brut de pomme de ceux qui par exemple habitent dans le Loir-et-Cher (ces gens là ne font pas de manière) nécessite une expression travaillée en finesse pour donner sa pleine mesure.
C’est donc à dessein que les citadins ont mis au point avoir de la paille dans les sabots pour décrire la contenance particulière du natif régional en visite à la capitale (ou au bourg).
Faux ami d’avoir du foin dans les bottes qui souligne pour sa part la fortune amassée, avoir de la paille dans les sabots traduit un mélange de mal être en univers inconnu et d’incongruité de la posture, trop guindée quand il faudrait l’adopter décontractée, trop relâchée quand il faudrait porter fier.
Goguenarde sans être condescendante, avoir de la paille dans les sabots apparaît dans la langue au début du XVIᵉ siècle, soit juste après l’invention du sabot lui-même, le godillot de bois étant évidemment nécessaire pour y fourrer de la paille et créer l’expression.
Car la chaussette n’étant pas encore de mise (la maison Gammarelli sera fondée en 1790) et l’écharde dans l’orteil s’avérant douloureuse, le campagnard de bon sens s’est saisi de ce qui lui tombait sous la main pour protéger ses petons et c’est donc la brassée de chaume qui lui a semblé adéquate.
Si elle lui garantit d’éviter le durillon, la paille dans les sabots confère au chaussé une démarche à la cinq et trois font huit bien éloignée de celle d’un Louis XIV monté sur ses talons rouges de douze centimètres par exemple. Plus qu’il n’en faut pour assurer qu’elle sera utilisée à chaque fois qu’il faudra ironiser sur un candide peu au fait des exigences de la dernière mode en quelque domaine que ce soit.
C’est une mousse d’éthylène-acétate de vinyle qui va envoyer avoir de la paille dans les sabots en surannéité.
En 2013, Crocs Inc. rencontre un succès planétaire avec son socque qu’elle nomme Crocs. D’une forme rappelant celle du sabot de bois la Crocs a pris la mesure, y ajoutant tout ce qu’une créativité contemporaine mue par l’économie de moyens et le souci de rentabilité peut produire : couleurs criardes, esthétique appelant à discussion, supputations sur l’équilibre psychologique des utilisateurs, etc.
Rien qui ne pèse cependant suffisamment face à un chiffre d’affaires annuel de plus d’un milliard de dollars.
Avoir de la paille dans les Crocs ne sera jamais une version contemporaine d’avoir de la paille dans les sabots. Ce ne serait pas bon pour le marché.