[avwar déz- ër de vòl] (loc. moq. ÂGE.)
« Mesdames et messieurs, dans quelques instants nous atterrirons à l’aéroport international de Rio de Janeiro-Galeão, la température au sol est de 29°. Nous espérons que vous avez passé un agréable… » nous susurre la voix légèrement éraillée par douze heures de vol d’un phantasme en Balenciaga, Pierre Cardin, Courrèges ou Dior (qui est cependant une autre histoire).
Ces quelques kilomètres transatlantiques qui auront momentanément contraint les tôles et les corps, sont donc à leur corps (et tôles) défendants à l’origine d’une étrange et incompréhensible dénégation de la patte d’oie et du cheveux blanchissant : avoir des heures de vol.
Avoir des heures de vol a évidemment dû attendre que les exploits des merveilleux fous volants dans leurs drôles de machines se structurent en une offre grand public régulière pour émerger dans le langage¹ et date donc des années suivant la conquête du ciel.
En effet, Clément Ader, Alberto Santos-Dumont, Antoine de Saint-Exupéry, s’ils possèdent le privilège historique d’avoir effectué les premières heures de vol n’ont pas des heures de vol au sens où l’entend le goguenard (Saint-Ex, disparu à quarante quatre ans n’a par exemple pas eu le temps d’en accumuler). Avoir des heures de vol traduit dans son esprit perfide les fêlures du temps qui passe et finissent par enrouer les voix ou fatiguer les corps, et non ce nécessaire temps de formation autorisant le pilotage d’une Caravelle ou d’un Latécoère.
Exigé pour le commandant de bord, avoir des heures de vol devient caustique pour tout autre terrestre qui ne tient pas le manche ou n’appuie pas sur le palonnier, l’expérience rassurante du galonné faisant donc exception qui confirme la règle – comme aime à le souligner le barbacole enseignant les subtilités de la grammaire française à ses ouailles dissipées.
On dira donc de celui qui en a vu d’autres (prisons turques, films de gladiateurs²) et aimerait bien ce faisant continuer, qu’il a des heures de vol (même s’il a passé la majeure partie de son temps sur le plancher des vaches), tout comme on soulignera avec l’expression l’évidente maturité d’une femme qui met de l’ordre dans ses cheveux, un peu plus de noir sur ses yeux, par habitude, et qui avait oublié simplement qu’elle avait deux fois dix-huit ans³.
L’interdiction moderne de faire référence à l’âge en quelque circonstance (et l’utilisation du bistouri pour aboutir à des résultats plus ou moins gratifiants, mais ceci est aussi une autre histoire) feront disparaître avoir des heures de vol.
L’expression a rejoint Concorde, Douglas DC-8 et exotiques Iliouchine dans les musées du transport aérien.