[avwar la top o ɡiSè] (loc. féc. SCATO.)
En des temps désormais révolus, l’étiquette imposait d’annoncer que le transformation mécanique et chimique des aliments était terminée et qu’on allait pouvoir passer à l’étape suivante.
Cette disposition qui paraît de nos jours totalement superfétatoire, voire incongrue, renseignait sur la bonne santé du déclamateur (car la chose se faisait à voix haute), constipation et incontinence fécales étant alors des maladies graves.
Avoir la taupe au guichet était l’une des expressions qui seyait à l’annonce en question, laissant poindre derrière sa poésie animalière et champêtre l’urgence d’une situation. Car qui connaît le monde animal sait que lorsque le petit mammifère qui vit habituellement caché dans ses galeries se présente à la sortie, celui-ci ne tergiversera pas longtemps avant de rejoindre la lumière : la taupe est impatiente de nature.
La taupe est impatiente de nature
Avec sa fourrure très douce d’un noir bleuté subtil, ses cent grammes de masse et ses quinze centimètres cylindriques de longueur, la taupe possède quelques évidentes similitudes étroniformes que les plaisantins qui imaginèrent avoir la taupe au guichet n’hésitèrent pas à pousser, potaches d’esprit qu’ils étaient. Car il va sans dire qu’avoir la taupe au guichet est de toute évidence un canular linguistique d’élèves de classes scientifiques (aussi dénommées « taupes ») qui fut digéré par la société civile et adopté en cette période où la taupe servait aussi à confectionner des manteaux en fourrure pour les élégantes¹.
Notons le travail mis dans le choix de guichet, celui-ci étant par définition un passage étroit faisant communiquer avec l’extérieur l’intérieur d’un édifice, soit l’idéal synonyme d’un sphincter. Avoir la taupe au guichet est une expression travaillée à la hauteur des bonnes manières qu’elle sert : faire savoir que l’on doit s’absenter sur-le-champ pour rejoindre la cabane au fond du jardin.
Une sensible évolution des us et coutumes en bonne société fera basculer avoir la taupe au guichet du côté suranné du langage². Un oukaze moral moderniste finira le travail en bannissant toute référence à la cérémonie du petit lever et au privilège qui consiste à s’entretenir avec le roi sur sa chaise percée lorsqu’il a la taupe au guichet.
Des zazous des années consuméristes tenteront bien de promouvoir faire la grosse commission en guise de synonyme, mais les cartels de la grande distribution et les industriels de la nourriture en boite s’opposeront farouchement à cet usage craignant qu’on ne rapproche l’acte d’achat de leur production de celle du gros côlon³.
Désormais la taupe n’est plus que l’ennemie des pelouses entretenues. Chassée par les maniaques du gazon bien tondu, elle se porte moins bien que lorsqu’elle avait droit de cité, là, au guichet.