[avwar le kapo ki kaS la manivèl] (loc. auto. GRAS.)
Bien longtemps avant que le combat entre le Beau et le Pas Cher ne s’achève sur l’écrasante victoire de ce dernier dans un florilège de -80% dernière démarque et de Tout doit disparaître (sur autorisation préfectorale) clignotant rouge sur fond jaune, l’industrie française de l’automobile régnait.
Delahaye 175 S, Panhard et Levassor Skiff-Torpedo, Delage D8-120 n’étaient pas des noms qui faisaient esquisser un rictus aux amateurs de belles carrosseries mais les conduisaient plutôt à baver de plaisir ou d’envie.
Autant de modèles merveilleux avec le capot qui cache la manivelle (cet instrument nécessaire au démarrage du moteur sis à l’avant du véhicule) tant il se devait d’être long pour abriter les nombreux cylindres et chevaux vapeurs capables d’atteindre la vitesse des 100 km/h.
C’est la conjonction du physique des messieurs au volant (de riches et bien portants capitaines d’industrie, tarif du joujou oblige) et de celui de leurs bolides qui transforma – dans une langue un peu moqueuse – avoir le capot qui cache la manivelle en expression soulignant les rondeurs bedonnantes masculines.
Tout comme le capot d’une Panhard et Levassor X19 Skiff de 1912 cache sa manivelle au conducteur, l’épigastre gonflé d’un puissant nourri aux graisses saturées et aux sauces l’empêche d’apercevoir Popaul, ami qui devient ainsi de plus en plus imaginaire au fur et à mesure que le temps avance et que les mets appréciables s’éliminent plus lentement.
Le gras du bide est magnifié là où il aurait pu se trouver humilié s’il avait été dit qu’il ne possède qu’un petit zizi¹ (soulignons une fois de plus la délicatesse du langage suranné) : avoir le capot qui cache la manivelle est une expression bienveillante et pudique (taille de l’appendice pénien et de la bagnole sont en ces temps d’alors des questions qui ne s’envisagent pas). Aussi la locution a-t-elle son petit succès tandis que les berlines allongées défilent dans les rues, princesses du macadam.
L’abandon de toute notion esthétique dans la création de véhicules et la réduction drastique des coûts de fabrication et des longueurs de capots entraîneront immanquablement avoir le capot qui cache la manivelle en surannéité.
C’est en 1992 l’apparition du modèle dit Twingo, au capot quasiment invisible, qui va sonner le glas.
Paraissant créée pour accueillir un conducteur du genre « Monsieur Patate » avec bras et jambes directement reliés à un corps-tête unique – un conducteur rigolo lui aussi – cette voiture moderne marque l’entrée dans l’ère du véhicule ne suscitant aucune velléité comparative. Et évidemment aucune passion.
La vie qui va avec² n’entend pas s’encombrer de garnitures lexicale ou d’accessoires stylistiques. On fait désormais dans l’efficace, le rentable, pas dans la circonvolution outrancière.
C’est valable pour la bagnole, c’est valable pour la langue.