Avoir les cannes en Louis XV [avwar lé kan â lwi kêz]

Fig. A. Fauteuil Louis XV.

[avwar lé kan â lwi kêz] (loc. roy. TARABISC.)
Louis XV a produit deux expressions majeures pour la langue française, l’une perdurant toujours – la fameuse « après moi le déluge » que certains attribuent parfois à la Pompadour – et la surannée avoir les cannes en Louis XV qui se créera à son corps défendant après son règne.

Avoir les cannes en Louis XV exige une connaissance du style entendu comme tel – Louis XV – une étrange tradition voulant que l’on nomme du patronyme du régnant toute évolution décorative majeure surgissant des ateliers des ébénistes, tapissiers, serruriers et ornemanistes en charge de décorer les carrées.

Le style Louis XV (1725-1760) qui balaye le classique et l’antique, fait dans le bois laqué ou peint de couleurs tendres, la coquille et la feuille d’acanthe, les feuillages, les bouquets et les fruits, tout ça dans une parfaite dissymétrie.

Appliqué au piétement du moindre meuble, ce style que l’on dit aussi rocaille, rococo ou Pompadour, donne un -S à la fois fortement contrarié et gracieux qui se termine en pied de biche. Quand c’est tordu sans être moche c’est donc du Louis XV.

Transférée dans l’appréciation d’une paire de jambes humaines contrariées par une nature chahuteuses ou une activité contraignante trop pratiquée, cette esthétique caractéristique donne avoir les cannes en Louis XV, constat un tantinet plus délicat qu’avoir fait l’exode sur un wagon citerne.

Notons que du haut de son mètre soixante dix-sept, avec sa carrure athlétique, sa taille cambrée et son maintien strict, Louis XV le beau gosse n’a pas les cannes en lui-même malgré sa pratique assidue du chevauchement de destriers et de donzelles¹ du Parc-aux-cerfs (Versailles) qui, elles, avaient les cannes en Louis XV (cf. fig. B. ci-dessous).

C’est bien quelques années après le 10 mai 1774, date de sa mort, que se popularisera avoir les cannes en Louis XV, en réaction au renouveau classique du Louis suivant (seizième en l’occurence) et ses pieds de chaises raides comme une colonne antique.

Et la locution créée du côté du faubourg Saint-Antoine, quartier de Paris où l’on fabrique du meuble et cause en toute logique le langage des faubourgs, trouvera son public pendant plusieurs siècles jusqu’à l’avénement d’une autre idée de la bibliothèque et du fauteuil.

Fig. B. Marie-Louise O’Murphy, résidente du Parc-aux-cerfs de 1752 à 1755.

Le succès d’Ingvar Kamprad Elmtaryd Agunnaryd² et de ses Ögløry, Krüvrok et Trïblėvløg rendra la locution totalement surannée.

Le moderne qui prend plaisir à s’égarer dans les travées de ses hangars au parcours fléché plutôt que dans les édredons du Parc-aux-cerfs n’a en effet que faire d’avoir les cannes en Louis XV et de ce style ampoulé pour décrire un tarabiscotage de genou ou une circonvolution du ménisque.

Straight to the point³ comme il dit.

¹Madame de Vintimille, Marie-Louise O’Murphy, la duchesse de Narbonne-Lara, Marguerite-Catherine Haynault, Lucie Madeleine d’Estaing, la baronne de Meilly-Coulonge, Irène du Buisson de Longpré, Jeanne Perray, Catherine Éléonore Bénard, Marie Thérèse Françoise Boisselet, Marie-Madelaine de Lionvaux, etc.
²IKEA.
³Droit au but.

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