[avwar lé dâ dy fô ki bèN] (loc. satisf. MANG.)
L‘expression d’une satiété sans aucune restriction était de mise en ces temps désuets où la maîtresse de maison œuvrait en cuisine de longues heures afin de satisfaire les papilles et l’estomac de ses convives; une question de savoir-vivre.
Parmi les formes de compliments adéquats s’en trouvait une qui ne faisait pas dans l’ambigu, caractéristique souvent retrouvée dans la langue surannée et appréciée des parleurs : avoir les dents du fond qui baignent.
Avoir les dents du fond qui baignent traduit en effet cette douce plénitude d’après entrée, plat en sauce (bis repetita placent), fromages et dessert qui précède l’assoupissement bien mérité qui va venir doucement, le travail des sucs gastriques favorisant la torpeur du mangeur. Plus qu’une civilité, elle est un louange, un alléluia à la qualité et surtout à la quantité, cette dernière s’avérant indispensable à la submersion des amygdales et des troisièmes molaires.
Notons qu’avoir les dents du fond qui baignent est aussi une formulation impérieuse de l’arrêt immédiat de tout apport nutritionnel complémentaire. Si les deuxièmes molaires viennent à baigner elles aussi, le glouton écorchera le renard. Et ce sera la faute de goût¹.
Ainsi de dimanches chômés célébrés au gigot en noëls fêtés à la dinde, de premières noces honorées au foie gras en tournées des grands-ducs dignement arrosées, le goulu colportera avoir les dents du fond qui baignent comme indice de sa jouissance gustative. Et l’expression grossira comme un Gargantua en son pays de légende.
Un soudain soubresaut esthétique bannissant le bien-portant et le ventripotent des canons de la plastique aura raison d’avoir les dents du fond qui baignent.
Plus question de bâfrer (si ce n’est de cinq fruits et légumes par jour) dans une époque où la cuisine devient elle aussi moderne et s’entiche de réduire à la portion congrue tout ce qu’elle dépose élégamment dans l’assiette. La gamelle doit s’apprécier non pas pour sa capacité à contenir beaucoup mais pour celle à « révéler des saveurs inédites » comme on dit désormais.
Impossible ce faisant d’avoir les dents du fond qui baignent.
Après l’émergence de l’avant-gardiste cuisine moléculaire l’expression passe de désuète à vulgaire : la réplétion n’a plus bonne presse. Les temps sont à l’ascèse et au serrage de ceinture.