[avwaʁ syse la tuʁ‿ ɛfɛl pur la râdre pwêty] (exp. ingén. VANT.)
Toi t’as sucé la tour Eiffel pour la rendre pointue » n’a rien à voir avec « toi t’as pas sucé la tour Eiffel pour la rendre pointue ». Rien. Qu’on se le dise. La deuxième expression n’est pas la négation de la première; la langue surannée sait brouiller les pistes de la compréhension du quidam mal équipé côté verbe. Il faut des lettres pour dégoiser peinard.
Selon toute vraisemblance c’est après le 31 mars 1889 que l’expression consacrant le fanfaron un peu trop vantard a vu le jour.
En effet, avant l’inauguration officielle de la tour en fer puddlé de ce bon vieux génie de Gustave Bönickhausen dit Eiffel (les guides touristiques ne sauront jamais assez le remercier d’avoir construit son œuvre sous le patronyme raccourci d’Eiffel, « devant vous s’élève la tour Bönickhausen dit Eiffel » s’avérant nettement plus pénible à débiter à une masse de visiteurs ébahis – mais ceci est une autre histoire), il semble impossible qu’avoir sucé la tour Eiffel pour la rendre pointue ait pu exister. Celui qui se la racontait alors était tancé sous d’autres formes.
Devant vous s’élève la tour Bönickhausen dit Eiffel
Il est heureux pour la langue que la dynamique des forces métalliques ait fait aboutir une forme pointue car on imagine mal moquer le fat avec un « toi t’as sucé la tour Eiffel pour la rendre arrondie » ou encore « toi t’as sucé la tour Eiffel pour la rendre plate ». On friserait dans ce cas le ridicule quand on côtoie les dieux avec cette formule à la fois visionnaire et du plus évident des bons sens. Nul autre que le pire de rodomont ne saurait se vanter d’arriver à la cheville du seul ingénieur en travaux publics à avoir terminé son chantier dans les délais annoncés.
Dès que les Parisiens et le monde découvrent la Dame de fer, avoir sucé la tour Eiffel pour la rendre pointue prend ses quartiers de noblesse bien au-delà du 7e arrondissement et du quartier du Gros-Caillou.
Le succès est à l’aune de la prouesse technique et esthétique de la plus haute structure du monde.
Partout on envie la langue française pour avoir sucé la tour Eiffel pour la rendre pointue. Et on tente de la copier. Quarante ans plus tard, comme le Chrysler Building devient le toit du monde bâti, la gouaille new-yorkaise tente un you sucked the Chrysler building to make it sharp qui échouera lamentablement. La langue française est inégalable.
Quand en 1991 la tour rejoint le patrimoine mondial de l’UNESCO, les fonctionnaires onusiens tatillons et chagrins refusent qu’avoir sucé la tour Eiffel pour la rendre pointue soit versée à ce même patrimoine, arguant d’indécence phallocrate, de sous-entendus érectiles, d’allusions érotiques.
Ces gratte-papiers n’entravant que pouic à la langue surannée précipiteront l’expression dans l’oubli. De ces idiots on peut cependant toujours dire qu’ils n’ont pas sucé la tour Eiffel pour la rendre pointue, puisque c’est à cela que sert la négation introduite.
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