[avwar û tikè] (loc. verb. AMOU.)
L‘administration publique et ses arcanes peuplées de formulaires à remplir au stylo Bic sans dépasser des cases et en appuyant bien fort pour que le papier carbone fasse son office reproducteur, a parfois eu d’étranges conséquences sur le langage suranné.
C’est de sa rigoureuse organisation apprise dans son École Nationale¹ créée par l’ordonnance n°45-2283 que procède l’utilisation coercitive de la file d’attente interminable et du ticket, et par conséquent l’expression avoir un ticket (dans sa version première).
Cependant, avoir un ticket est très rapidement employée pour décrire l’attirance manifeste que suscite le possesseur dudit coupon sur quelqu’un(e), et ce en dehors de toute démarche de dépôt de formulaire B628aC/1 au guichet numéro 2 ouvert chaque jeudi non férié de 14 heures à 16 heures.
Non que l’on ne puisse avoir un ticket quand on est dans une queue, mais la situation d’attente n’influe aucunement sur les affinités amoureuses susceptibles d’y converger et surtout, dans avoir un ticket le bout de carton numéroté est totalement fictif. Avoir un ticket n’implique pas d’avoir un ticket… Le langage n’en est pas à un paradoxe près.
Avoir un ticket c’est plaire (parfois à son insu) en toutes circonstances (en ou hors queue).
Tentant de récupérer l’aura de l’expression française alors à son apogée, Paul McCartney et John Lennon vont traduire un peu laborieusement avoir un ticket et l’intégrer dans l’une de leurs chansons qui remportera – malgré la perte de son sens – un succès certain.
En avril 1965, The Beatles entonnent que she’s got a ticket to ride but she don’t care² sur un 45T qui nous conte, selon les interprétations, l’histoire d’un ticket de train pour la ville de Ryde sur l’île de Wight ou celle du certificat de bonne santé des filles de joie de la Reeperbahn à Hambourg, là où précisément les quatre garçons dans le vent ont débuté leur carrière internationale³.
Avoir un ticket passe ainsi de la séduction au stupre mais les cris des groupies recouvrant les vocalises des idoles, l’expression ne s’en trouve pas affectée.
C’est l’émergence des relations numérisées qui va pousser avoir un ticket en surannéité. Désormais le moderne séduisant a des Like sur son profil social de réseau, des swipe right quand il s’expose sur des applications, des cœurs qui clignotent, des étoiles qui scintillent pour lui signaler qu’il plaît et que pour une modique somme il lui sera révélé à qui.
Avoir un ticket est revenu, penaud, dans le giron de l’administration : qui ne l’a pas n’aura pas accès au guichet numéro 2 et devra refaire la queue pour déposer son formulaire B628aC/1. C’est pénible mais heureusement c’est une toute autre histoire.