[avwaʁ yn ʃɑ̃bʁ a lwe] (loc. hôt. LOCA.)
L‘accueillante confrérie de l’hostellerie avait déjà bien chargé la barque de la langue surannée en inventant Au lion d’or, premier jeu de mot dit « de commerce » qui ouvrit la voie aux « Sam décoiffe » et autres « Sup’hair belle », « Ainsi soit tifs », de leurs voisins de pas de porte les merlans¹.
Très satisfaite de son petit effet (et de son succès) elle prit la liberté de créer une nouvelle expression décrivant la folie, toujours en s’appuyant sur son vécu.
Avoir une chambre à louer ne fait en effet pas référence au registre gribouillé d’un deux étoiles spartiate ou au logiciel compliqué d’un palace qui nécessite quinze minutes de manipulation pour vous confirmer que votre chambre déjà payée est bien réservée. Avoir une chambre à louer est l’expression d’un vide que la nature qui en a horreur² comblera bien vite, avec les grands gagnants d’un jeu-concours quand on parle hôtellerie, avec de l’égarement quand on parle matière grise.
Selon le degré de fêlure du bailleur, la chambre à louer ira de la soupente de marchand de sommeil (on parlera alors de folie douce) à la suite royale avec vue sur la mer (la folie des grandeurs). Avoir une chambre à louer regroupe ainsi un nombre important de pathologies sous sa bienveillance locative, aux antipodes des diagnostics sévères des spécialistes du trouble de la raison et des diverses conventions sociales : schizophrénie, paranoïa, déviance, dissipe-ses-camarades-pendant-les-cours, fauteur de trouble, etc.
On dira ainsi de l’idiot du village sympathique et gauche tout comme du peintre farfelu qui refuse l’art pompier qu’ils ont une chambre à louer, leur esprit différent passant pour simple (beati pauperes spiritu). Un état qui ne saurait bien entendu perdurer en modernité.
Le smart-world³ cool et connecté ayant lui aussi horreur du vide, il décidera par un beau jour de l’été 2008 (le 11 août très exactement) de transformer en espèces sonnantes et trébuchantes cette case manquante et, au passage, d’envoyer valser en surannéité avoir une chambre à louer. Le mètre carré c’est de l’argent.
Avec la mise en ligne de sa plateforme communautaire techno-trendy, Airbnb permet à quiconque a une chambre à louer d’arrondir ses fins de mois mais, surtout, rend totalement désuète l’expression.
Le milliard de dollars de chiffre d’affaires annuel qui accompagnera bien vite la perte du sens premier justifiera totalement sa disparition. Pour une fois qu’une expression surannée s’avère rentable…