
Fig. A.
[avwaʁ yn ekʁəvis dɑ̃ la tuʁt] (CRUSTAC. FOL.)
S ‘il est un malentendu fâcheux dans l’histoire de l’humanité, c’est bien celui qui fit croire que la marche arrière était un mode de déplacement valable. Car à bien y regarder, tout ce qui recule sans crier gare pose problème : le conducteur novice qui tente son créneau, l’âge de la retraite du travailleur, et surtout l’écrevisse.
L’écrevisse, ce crustacé d’eau douce à l’armure d’arthropode, a ceci de particulier qu’il ne se déplace pas franchement dans la bonne direction. Là où le poisson file droit, où la grenouille et Mao font un grand bon en avant, où Neil Armstrong avance d’un petit pas pour l’homme et d’un grand pour l’humanité, elle, choisit de marcher à reculons, rétive à la conquête de nouveaux horizons.
D’où l’intérêt de la trouver dans la tourte, autrement dit dans la tête—car il faut rappeler aux âmes les plus candides que la tourte, bien avant d’être une gourmandise, était un terme d’argot joliment troussé pour désigner le ciboulot, le caisson, le carafon.
Ainsi, avoir une écrevisse dans la tourte c’est afficher un esprit quelque peu décalé, un raisonnement qui, à l’instar du crustacé, avance de travers, à contre-courant, voire à l’envers. Ce n’est pas de la folie furieuse, ni même un dérangement clinique, mais plutôt une forme de loufoquerie, un grain d’excentricité qui fait lever le sourcil à l’observateur et douter des possibilités du songe-creux. « Si tu avances, si tu recules, comment veux-tu que je t’adule ? », comme l’énonce l’adage.
On murmure d’ailleurs que les plus grands génies avaient une écrevisse dans la tourte qui les poussait à voir le monde autrement, à peindre une Mona Lisa au sourire ambigu, à composer des symphonies en sourdine, à inventer des machines volantes en papier mâché.
La pêche à l’écrevisse est désormais soumise à des règles strictes aussi ne se déguste-t-elle plus guère en tourte. L’expression en est tombée en surannéité.
Sans elle, le premier crétin des Alpes trifouillant sa boîte à rythmes, le moindre tocard prétendant faire de l’art, le plus terne des start-upeurs réinventant le fil à couper le beurre passe pour un génie en puissance. « Il a une pensé complexe » le loue-t-on tel un penseur méditant du haut des portes des cercles de l’Enfer.
Alors qu’il a juste une case en moins ou un boulon en balade.