[bèzâvil] (n. comp. MAROQ.)
Entre Front Populaire, affaire Stavisky, ligues d’extrême droite et crise économique, les années 30 qui succèdent aux années folles (Joséphine Baker, La Closerie des Lilas, Montparnasse, Montmartre…) vont faire monter la pression.
Et comme toujours lorsqu’il est sous pression, avant d’en arriver à la grande boucherie et de dézinguer à tout-va, l’homme fraye. La pulsion génésique avant la pulsion destructrice.
Comme il est d’un esprit très pratique et qu’il ne saurait s’en aller faire la bête à deux dos débraillé, cet homme des années surannées va se doter d’un accessoire lui permettant d’emporter élégamment avec lui slip kangourou de rechange, chaussettes propres et brosse à dents, et créer pour ce faire le baise-en-ville, ainsi nommé puisqu’il est utilisé dans un cas et un seul : forniquer au bourg¹.
En 34 pour les uns, en 36 pour les autres² (ce qui constitue un débat fondamental dans le monde de la mode), la toute petite mallette de voyage fait son apparition, affublant de sa discrète présence (grâce à sa lanière réglable) les vilotiers de tout poil courant la prétentaine de ville en ville. Le baise-en-ville est alors l’attribut du chaud-lapin.
Le succès fulgurant du baise-en-ville pourrait laisser penser que la France est le pays du stupre. Il n’en est rien : le petit parallélépipède de cuir révélera plus souvent contenir morlingue et petite monnaie que tricot de peau et mi-bas de la maison Gammarelli.
Le baise-en-ville va ainsi conserver son nom tout en abandonnant sa fonction initiale de complice en luxure. Comment croire en effet que toutes ces silhouettes contraintes dans des complets-vestons de Tergal portant fièrement leur baise-en-ville, puissent être celles de libidineux Casanova plutôt que celles de sages salariés en plein métro-boulot-dodo ?
Le 21 avril 2002, le premier tour de l’élection présidentielle déclenche un cataclysme.
Robert Hue, candidat du Parti communiste français (PCF), dernier porteur connu du baise-en-ville obtient le score de 2,33% des voix (inscrits). Le baise-en-ville ne s’en remettra pas (ni le collier à barbe et le PCF, mais ceci est une autre histoire). Il file en surannéité. C’est un séisme.
L’ère moderne du sac à dos que le jeune cadre dynamique et urbain porte par dessus son costume, en dépit des règles les plus basiques de la bienséance et de l’élégance masculine, est ouverte. Plus rien ne sera jamais comme au temps suranné, après ce triste 21 avril.
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