[baʁbje] (n. m. POIL.)
Nous sommes réunis aujourd’hui pour faire passer un mot des limbes surannés vers les affres de la modernité. La chose est rare, l’instant est solennel. Aussi je vous demanderai un instant de recueillement. (…).Même si vous avez entre deux ans et demi et cinq ans vous avez déjà pu remarquer ô combien il est aisé pour le moindre commerce de quartier de tomber en surannéité¹. Alors si les hasards d’une rencontre et d’un slow² ont voulu que vous soyez conçu(e) au cours des années 70 par exemple, la liste est longue des métiers et boutiques avec pignon sur rue ayant désormais disparu. Parmi eux se trouvait le barbier.
Qu’il soit de Séville ou Belleville, le barbier est en charge de l’ordonnancement de la pilosité faciale du gentleman ou du voyou, et à l’époque surannée barbe, moustache, favoris et rouflaquettes ont un sens codifié que seul l’homme de l’art est capable d’appliquer. Le cas échéant le barbier rase aussi; tout. Un bon rasage de frais au coupe-chou avec application de serviette chaude pour une peau de bébé Cadum. Un rasage qui s’effectue à la cuillère ou au pouce (dans la bouche), c’est à ça qu’on reconnait le vrai barbier mon ami.
Ce beau métier du quotidien qui marquait sa présence dans nos villes par la cimaise de son enseigne torsadée demeurait tranquillement oublié au fin fond de ces temps surannés, poussé qu’il y avait été par les hydres multinationales de l’hygiène corporelle procterienne dopées au parfum de synthèse et à la première lame qui soulève le poil avant que la deuxième le coupe. Et je ne m’étends même pas sur la troisième lame, puis la quatrième, la cinquième, le film hydratant, le lubrifiant et je ne sais quoi encore.
Tout allait bien, donc. Mais, mais…
Né à Brooklyn et dans l’East Village dans les années 2000, révélé au grand jour disons vers 2010, figure urbaine post-moderne à la motivation hétéroclite, gravure de mode pour magazines à typographie travaillée, rebelle de la forêt à chemise fermée au col, voici celui qui fit rebasculer le barbier dans la modernité : le hipster.
Car vous l’aurez bien remarqué le hipster est obligatoirement affublé d’une barbe que ne renierait aucun pionnier de la Légion étrangère³ et qu’il se doit d’entretenir sous peine de terminer dans une catégorie moins prestigieuse des figures contemporaines. Alors il a besoin du savoir-faire d’un bon vieux barbier, d’un qui manie le peigne, le ciseau, l’huile et le baume. La tendance et l’argent, voici les ingrédients qu’il fallait pour ressusciter le barbier endormi qui devient à nouveau très moderne.
Bien entendu il se teinte de vintage, il fabrique de l’ancien, mais je sais qu’il n’est plus suranné, je sais qu’il ne peut pas dompter le poil rebelle comme avant lui son aîné. Je vous laisse cependant libre d’aller confier votre gorge au coupe-chou effilé d’un novice tatoué. Mais ne revenez pas ici pour vous plaindre.
Si en revanche vous avez une adresse secrète, de celle qu’on ne donne qu’à ses amis à la mort à la vie, je suis preneur, j’ai besoin qu’on me brosse dans le sens du poil.
2 comments for “Barbier [baʁbje]”