[bablø] (exp. LITT.)
Bien qu’il ne s’accorde qu’au masculin (on dira toujours un bas-bleu), le mot délicieusement suranné du jour ne concerne que le genre féminin.
Bon, là je sens que je vais encore m’attirer les foudres des féministes mais après tout elles me font bien marrer ces demoiselles vengeresses¹. Oui, elles vont pouvoir s’énerver car bas-bleu a pour une raison que j’ignore, transité du bienveillant au péjoratif, désignant en tous cas une femme de lettres. Mais pourquoi Diable faut-il donc se moquer quand une femme tient la plume ailleurs que sur sa coiffe ? Sont-ce les précieuses engoncées en salon qui l’ont trainée si bas ?
La pédante qui a tout vu et a lu tous les livres (et trouve-t-elle la chair triste ?) est elle aussi un bas-bleu, là où son congénère masculin est un bégueule, un doctoral, un grammairien, un sentencieux. Est-elle pour autant moins bien lotie ? D’aucuns verront dans l’utilisation du bas (de soie) l’ultime affront fait à la femme, la cantonnant à ses atours délicieux pourtant fort appréciables; j’entends leurs arguments. D’autres diront que tant qu’à se faire traiter de con autant que ça le soit avec délicatesse; je les comprends.
Si elle est Trissotin, le bas-bleu a besoin de trouver ses Bélise, Philaminte et Armande pour briller. Bien entendu, il lui faut des béats pour que puissent se gausser les moqueurs. Je ne saurai cependant que leur recommander la plus grande prudence. D’une part parce que le bas fut porté avant tout par les hommes dans l’Extrême-Orient lointain où il vit le jour, et d’autre part parce qu’ils pourraient bien vite se trouver désarmés si le bas en question venait à glisser le long de la jambe qui le porte. Allons allons, je sais que votre morgue n’est affichée que parce que vous rêvez de les lui voir tomber ces bas dont le bleu vous courrouce.
Il était donc écrit que cette définition ne finirait pas ailleurs que dans la bonneterie, la jarretière, la dentelle. Cela dit c’est toujours plus agréable que la fange dans laquelle se trainent les mâles écrivains de pacotille, ceux qui se croient charmants en alignant trois mots et qui feront une gloire d’un tirage en grand nombre. Au plumitif je préfèrerai toujours le bas-bleu. Oui, pour ses bas !
« Je consens qu’une femme ait des clartés de tout,
Mais je ne lui veux point la passion choquant
De se rendre savante afin d’être savante ;
Et j’aime que souvent aux questions qu’on fait,
Elle sache ignorer les choses qu’elle sait ;
De son étude enfin je veux qu’elle se cache,
Et qu’elle ait du savoir sans vouloir qu’on le sache,
Sans citer les auteurs, sans dire de grands mots,
Et clouer de l’esprit à ses moindres propos. »
Clitandre, acte Ier, scène 3, Les Femmes savantes
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