[béSamèl] (n. pr.&com. EGO)
Déchaîne-toi cohorte cuisinière dopée à l’audimat des émissions d’humiliation des piètres cuiseurs de pâtes et des incapables de la cuisson pile-poil-comme-il-faut ! Drape-toi dans ton savoir-faire, prends ton plus grand coutelas et poursuis cette pourtant paisible et pacifique encyclopédie en hurlant que non, béchamel n’est pas suranné !
Tu pourras nous raconter par le menu la création du marquis de Nointel, maître d’hôtel de Louis XIV, tu pourras nous chanter les louanges de cette sauce blanche par ailleurs délicieuse… mais ta vindicte s’essoufflera bien vite à la lecture complète de cette définition.
Car béchamel n’est pas une sauce, s’il reste bien le leg onomastique de Louis de Béchameil.
Pour la langue surannée, celle des faubourgs et des lieux sans manières, béchamel signifie homme prétentieux. Te voilà étourdie ? Oui, béchamel est un défaut avant d’être un délice.
Certains chercheurs en surannéité exposent que cet avant est en réalité un après qui se date a priori à l’aune de l’œuvre de Michel Audiard¹ (qui était un talentueux catalyseur de la langue des faubourgs susnommés). Nous souhaitons relever que le papa des tontons (flingueurs) utilise béchamel dans une acception différente de situation à problème, tout autant surannée, certes, mais plus proche de la mouise que de la prétention.
Et, ne reculant devant rien, la maison vous propose sa version. Louis de Béchamiel est à la fois un opportuniste, un imposteur et ambitieux prêt à tout.
Opportuniste parce que le bougre bâtit sa fortune sur la vente d’armes et diverses fournitures aux armées pendant la Fronde. Imposteur parce qu’il n’invente pas la sauce blanche mais revisite une recette de François Pierre de la Varenne. Ambitieux prêt à tout parce qu’il achète la charge de maître d’hôtel du roi, histoire d’être un peu plus près du soleil.
Opportunisme, imposture, dents qui rayent le parquet : cocktail merveilleux de prétention, CQFD. Béchamiel devenu béchamel est prétentieux.
En 1963, aux Etats-Unis, est créée la société Weight Watchers qui se donne comme mission de faire mincir une Amérique qui se baffre de Big Mac et se désaltère au Coca. Avec sa cohorte d’animatrices et de réunions publiques célébrant (contre espèces sonnantes et trébuchantes) la gloire du corps parfait, elle boute béchamel hors du champ culinaire et concomitamment hors du champ linguistique.
En moins de temps qu’il n’en faut pour faire réchauffer un plat au moderne micro-ondes, béchamel synonyme de prétentieux se retrouve suranné. Et le gouailleur Audiard disparaissant en 1985, plus rien ne peut arrêter l’inexorable marche du Light.
C’en est fini de béchamel dont on ne trouve plus trace, dussions-nous passer pour tel, qu’en ces modestes pages.