[bèl a la Sâdèl] (allég. LAID.)
Saluons la pudeur de la langue surannée qui sait donner à la plus laide d’entre toutes un petit espoir poétique sur l’intérêt de sa plastique. Cette préoccupation de rendre désirables celles qu’Oscar Wilde courtisait, se targant au passage de laisser aux hommes sans imagination les jolies femmes, l’honore.
C’est donc à la lueur bienvenue d’un clair obscur sfumato à la Léonard de Vinci ou bien d’un ténébrisme du Caravage que nous allons étudier la disgrâce puisqu’il est question de bougie dans l’expression populaire qui suit.
Belle à la chandelle nous propose une allégorie raffinée pour nous parler de particularités physiques peu appréciables en plein jour par le commun des mortels soumis aux affres de sa culture qui lui dicte sans discussion ce qu’il devra apprécier chez une femme. Car belle à la chandelle est exclusivement féminin, la langue surannée ne faisant que très peu dans la parité, vous m’en voyez désolé. N’est belle à la chandelle que celle qui porte des traits à l’inharmonie cohérente, dont l’hideur n’est pas le simple fruit d’un bouton malvenu ou d’une négligence hygiénique; être d’une laideur remarquable n’est pas donné à la première affreuse qui passe. C’est bien là tout le sens de la lumière diffuse de la calbombe qui nimbe délicatement les plus grands chefs d’œuvres des grands maîtres de la palette.
Ne reculant devant aucune hypothèse j’irai même jusqu’à dire que celle qui inspira La Joconde (celle du Louvre, pas la pizzeria à l’angle de la rue) était une belle à la chandelle ! Oui amie lectrice, oui ami lecteur, il est plus que probable que Lisa Del Giocondo, née Lisa Maria Gherardini en mai 1479 à Florence, femme au front disproportionné, au nez épais, aux yeux trop rapprochés et au sourire si impossible qu’il doit cacher plus de dents cariées et gâtées qu’il n’en faut, était une belle à la chandelle. Je l’affirme haut et fort.
Mais la maestria du sfumato léonardien en fit un chef d’œuvre. Les moches peuvent aussi être belles.
La thèse est osée mais cette encyclopédie ne saurait l’éviter pour plaire au plus grand monde.
Sous l’ère des canons de la plastique moderne, une belle à la chandelle la tiendra souvent, la chandelle, puisque personne mieux qu’elle ne saurait accompagner son amie la plus belle à un tout premier rendez-vous. Cruel destin auquel elle échappera peut-être si la laide se décide à le mettre entre les mains d’un maestro chirurgien qui fait dans l’esthétique. De pied en cap il modèlera, gonflera, redressera, sculptera, rehaussera, déridera, liposucera, et cætera, et fera de la belle à la chandelle une Joconde moderne aux bizarres zygomatiques.