[bèrlêɡo] (n. multip. NESTL.)
Le mot a plusieurs acceptions. Toutes sont surannées. Nous devrons les étudier une à une bien qu’en vérité seule l’une d’entre elles m’intéresse particulièrement. Mais c’est la rigueur scientifique et la glose qui nous guident, aucunement la sophistique. Allez zou, au boulot.Turlututu chapeau pointu est le point commun entre toutes les sortes de berlingots. Oui, turlututu chapeau pointu parce que le berlingot et une forme avant tout, et une forme tétraédrique composée de quatre faces triangulaires, six arêtes et quatre sommets comme de bien entendu.
Il fut néanmoins une époque où le berlingot était une voiture hippomobile à deux roues avec deux places côte à côte à l’intérieur. Ce berlingot là devint coupé vers 1667 et le nom fila aux oubliettes une première fois¹. Notons puisqu’on est en voiture qu’une firme française dont je tairai le nom par pudeur patriotique réitéra à la fin des années modernes (1996) l’aventure carrossée iconoclaste dans laquelle elle s’était fourvoyée des années plus tôt avec sa BX, et créa donc le Berlingo (heureusement sans « t »), première camionnette moyenne monovolume dont la police nationale fit notamment emplette pour remplacer ses estafettes. Mais ceci est une autre histoire.
Le berlingot le plus suranné dont je tiens à vous parler est le Nestlé empli de lait concentré que maman glissait dans mon cartable et qui était censé me redonner des forces après une dure journée d’humanités.
Le déchirement d’un coin du tétraèdre avec les dents, le subtil crachat du morceau de carton indépendant ainsi créé, l’aspiration plus ou moins délicate du lait sucré, la gorge qui sature sous la saveur de saccharose, c’est ça le berlingot, le seul, le vrai.
Le lait concentré sucré fut inventé aux Etats-Unis en 1853 dans le but de conserver au mieux le lait frais. Gail Borden, New-Yorkais devenu fermier au Texas bâtit des usines dans le Connecticut, à New York et dans l’Illinois et la guerre civile fit sa fortune en 1861. The New York Condensed Milk Co était née, mais elle faisait du lait concentré en boîte.
Il fallut que Nestlé se mette au lait concentré en 1878 et surtout que Ruben Rausing, magnat suédois de l’emballage (les Suédois emballent beaucoup), créateur de Tétra Pak (Tétra Pak, tétraèdre, vous voyez venir le truc ?) invente un volume se stockant très bien, tête-bêche avec ses petits copains dans un carton, pour que le berlingot atterrisse dans tous les foyers puis dans mon sac d’école.
Le berlingot nantais élaboré à Nantes et le berlingot de Carpentras, bonbon dur de différentes couleurs et toujours strié de blanc qui fait péter les dents, pouvaient aller se rhabiller. Le berlingot Nestlé avait gagné.
Ma mère lui pardonna même les quelques fois où il éclata dans mon cartable et enduisit mes cahiers d’écolier appliqué, c’est dire la place de choix qu’il occupait dans l’estime matriarcale. L’honnêteté voudrait que j’avoue aujourd’hui que j’avais peut-être contribué à cet éclatement lors d’un pugilat improvisé ou avec la transformation dudit cartable en poteau de but de foot, mais il y a prescription et ces épisodes n’ont probablement que peu nui à ma carrière. Quoi que…
Berlingot a disparu ! Trop sucré, trop de caries, les dentistes l’ont envoyé en surannéité. Ils ne savent pas ce qui est bon.
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