Bézef [bezɛf]

Bézef

Fig. A. Francis Vanverberghe dit Francis le Belge.

[bezɛf] (exp. FAM.)
En lisant la définition de « faire suer le burnous » vous aviez déjà noté combien le passé colonial de la France avait pu influer sur le caractère suranné de mots et expressions. Nous y voici confrontés à nouveau.

Bézef nous vient selon toute vraisemblance de l’arabe “bezzef” qui signifie beaucoup, et doit son colportage à l’argot du siècle précédent qui prit ancrage dans notre langue grâce au mouvements conjoints des troupes coloniales, des ouvriers spécialisés de Billancourt venus de toute la France d’alors, et grâce à quelques dialoguistes talentueux du cinématographe qui le posèrent dans la bouche d’acteurs à la gueule de l’emploi (Gabin, Ventura etc.).

Comme toute bonne langue vivante le français intégra bézef affublé au choix de l’auxiliaire être ou du verbe impersonnel faire. Et généralement d’une négation car bézef est une plainte avant tout. C’est pas bézef et ça fait pas bézef se promenèrent ainsi de bouche à bouche jusqu’à devenir surannés, renvoyés dans leur embut par des langages plus modernes, verlan, largonji, louchébem, javanais, redegue, etc.

Destin classique en surannéité, bézef fut tellement oublié qu’une génération en perdit totalement le sens refusant non seulement de l’entendre mais surtout n’y entravant que dalle. C’est pas bézef était parti pour subir le même sort que faire ou ne pas faire long feu : s’employer en toute occasion et emporter avec soi un torrent de quiproquos, nul ne s’accordant sur son sens. Ça fait pas bézef frôla le synonyme pour “ça ne fait pas très élégant”, “ça fait la rue Michel”, ou “c’est très grave”, ce qui aurait pu conduire à une véritable catastrophe linguistique vous en conviendrez.

Heureusement oserai-je dire, c’est pas bézef demeura cantonné aux films de gangsters en costumes à fines rayures, aux élégants noctambules d’un Pigalle qui n’était pas un parc d’attraction pour touristes en goguette, aux parties de tarot d’arrière salle, Picon bière sur la table et flingot sous le comptoir.

D’aucuns racontent qu’il fut même le dernier mot de Francis Vanverberghe dit Francis le Belge, truand assassiné alors qu’il validait ses tickets de paris hippiques quotidiens au PMU du coin. Quitte à le contredire (je prends un risque) je trouve bien au contraire que sept balles de 11.43 ça fait bézef, mais je ne suis pas un spécialiste.

Toujours est-il que bézef s’évanouit dans la nature remplacé par too much, trop, à fond, et autres modernisme qui n’en doutons pas entreront eux aussi en surannéité (je vous parle là du 4ᵉ millénaire, pas avant).

Je vous le ressors donc aujourd’hui, je sais c’est pas bézef mais je ne peux pas faire beaucoup plus. À votre tour de le placer de ci de là, vous verrez ça donne un genre.

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