[lə blɛd] (n. prop. GRAMM.)
C‘est en 1946, époque surannée s’il en est, que surgit sous les yeux ébahis de ceux qu’on appelait encore des écoliers un ouvrage qui allait faire référence en matière d’apprentissage de l’art de la langue et de son savoir être : le Bled.Odette et Edouard, Bled de leur patronyme marital, étaient deux aimables instituteurs qui croyaient fermement que grammaire et orthographe pouvaient éviter des catastrophes en permettant aux futurs hommes et femmes qui usaient leurs fonds de pantalons sur les bancs de la communale de partager aimablement le sens de leur pensée et donc de ne pas se foutre sur la gueule dans un déluge de feu et de sang à la moindre occasion comme leurs aînés venaient de le faire pendant six longues et noires années.
Empreints de cette rêveuse certitude ils entreprirent de mettre au point une méthode qui visait à combler des trous dans des phrases, ce qui demeure une activité ardue mais toujours plus intéressante que de devoir en creuser pour se mettre à l’abri des bombes. Ainsi, pendant de longues années des générations de bons et de moins bons élèves suèrent-elles sur des pluriels de nom composé, sur l’accord d’un participe passé, sur la conjugaison d’un verbe à l’imparfait du subjonctif.
Grâce à l’action conjuguée de Monsieur l’instituteur ou de Mademoiselle l’institutrice (vous savez celle que Papa tenait absolument à rencontrer régulièrement même quand je travaillais bien, même que je me demandais ce que j’avais pu faire comme bêtise…) et du Bled, orthographe, syntaxe, participe passé, accord du verbe, ponctuation, conjugaison devinrent les fers de lance d’une armée de marmots lancés pacifiquement à la conquête du monde et qui allaient bientôt faire rayonner les subtilités de la langue française et l’esprit des lumières.
Mais non, je déconne. Quand une méthode se targue de cadrer des usages éducatifs elle est bientôt vilipendée et bafouée, on est en France tout de même !
Un jour le Bled se retrouva poussé en surannéité par quelque pédagogue ayant soudainement décrété que la syntaxe n’avait que peu d’effets à produire si ce n’est ceux de manche des éloquents pédants et que le participe passé pourrait bien s’acoquiner avec qui bon lui semble après tout on est au XXᵉ siècle bordel de merde !
Ainsi naquit une génération bénie de footballeurs lettrés citant le coach à chaque saillie (« Comme dit l’coach », Franck Ribéry) ou maniant l’expression avec créativité (« J’espère que la routourne va vite tourner », Franck R. à nouveau), d’auteurs-compositeurs aux textes truffés de scies qui aiment les raies (« Oui c’est de ça dont j’parle ce serait mentir si j’dirais que c’est pareil », Sniper, Gravé dans la roche) et d’esthètes quotidiens du juste mot allant au coiffeur ou croivant que oignon s’écrirait désormais ognon¹.
Odette et Edouard nous ont quittés avant que leur siècle ne s’étiole totalement.
Ils n’auront connu ni la victoire de la France en finale de Coupe du Monde de football² ni la mise à mort programmée du circonflexe. « C’est dommage parce que c’étaient deux joueurs qui sont importants pour nous et qu’on aura besoin de ces deux joueurs là » conclurait mon ami Franky.
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