[la bwat a mø] (n. fém. JEU.)
L‘idée même de « ludo-éducatif » est un non sens absolu qui a tué le jeu et sa fonction : se marrer, se fendre la poire, se bidonner, s’éclater, s’imaginer, s’inventer, fantasmer, rêver. Le jour où un censeur de pacotille a voulu transformer mon bâton-fusil-épée-marteau-crayon en « outil préhenseur distanciant pour appréhension de l’espace et du rapport à autrui », ça a foiré. Et paf, le jeu est devenu suranné.
C’est ce chemin technocratique qu’a suivi notre objet du moment : la boîte à meuh. Initialement envisagée pour faire marrer les petits et les grands, et accessoirement pour tenter d’apprendre aux petits Parisiens que derrière le concept d’animal se trouvait une multitude de races de bestioles aux formes et aux bruits rigolos, la boîte à meuh est devenue l’outil scientifique de dépistage des carences auditives des enfants. Grâce au test de Moatti on sait si les marmots entendent les graves. C’est louable; c’est bien (je suis un fervent militant de l’ouïe enfantine, ça leur permet d’obéir quand elle fonctionne. Quoi que…).
Mais pourquoi, pourquoi Diable, user de la boîte à meuh pour cela ? Jusqu’alors on se faisait des blagues avec la boîte à meuh, on s’en servait pour interrompre le propos lénifiant d’un orateur fatigant, on détournait l’attention du moutard qui refusait d’ingérer sa purée, bref on se poilait. Meuh par ci, meuh par là, ça ne cassait pas trois pattes à un canard mais ça faisait la rue Michel. Il a donc fallu que se normalisent le bloc et le soufflet, la lame vibrante et le conduit colimaçon. Il a donc fallu que le meuh émette sur une fréquence donnée, il a donc fallu standardiser le meuh, le certifier NF. Technocrate-penseur tu nous auras tout fait.
La boîte a meuh a disparu au fond du coffre recelant les jouets surannés. Elle a rejoint en vrac les petits soldats de plomb (ma reconstitution pointue et ensablée d’Omaha Beach occupa ma chambre pendant plusieurs mois au grand dam de ma mère et de son aspirateur), le train électrique (héritage grand-paternel), le circuit 24 (je suis 583 fois vainqueur du Grand Prix de Monaco), le fusil à patate (les fenêtres amidonnées des voisins s’en souviennent), le petit chimiste (un tapis afghan et deux pulls en Lycra bousillés suite à une explosion intempestive indépendante de notre volonté)…
Des fois je vais au grenier et je remue le tout. J’entends un meeeuuuuuuh qui me rappelle qu’elle est toujours vivante et qu’il n’y a pas grand-chose à faire pour rejouer l’enfance. Bonne nouvelle.