[bôbô, karamèl, èskimo, Sòkòla] (list. nom. CINÉ.)
Entre Jean Mineur et Jean Gabin, au Champo, au Louxor ou au Palace de Beaumont-sur-Oise, dans l’intimité d’un éclairage tamisé, voilà une voix qui s’annonce.
Elle n’use que de quatre mots et pourtant ils suffisent à nous mettre l’eau à la bouche : bonbons, caramels, esquimaux, chocolat, susurre-t-elle.
La voix a bien sûr un physique qui la porte, et qui porte lui-même un grand panier d’osier; et il est généralement avenant, le physique en question. Mais c’est tout de même la voix qui compte, avec ses délicieux bonbons, caramels, esquimaux, chocolat.
Bonbons, caramels, esquimaux, chocolat, c’est l’ouvreuse qui le scande, juste assez fort pour qu’on l’entende depuis l’autre bout de la salle et qu’on ait le temps de réclamer à papa l’obole nécessaire. L’esquimau est le roi du panier en osier, et si l’on est au premier rang il me faut espérer qu’il en restera un à la vanille quand elle arrivera par ici. D’autant plus que la bougresse est capable de héler bonbons, caramels, esquimaux, chocolat, alors même qu’elle ne possède plus le moindre bâton glacé à vendre¹ !
En 1953, la bondissante Annie Cordy fait de cet hymne gourmand de l’entracte un succès de hit parade grâce aux paroles de Noël Roux et à la musique d’Edward Chekler et Marcel Dube. Sur le rythme endiablé d’une samba, la plus belge des meneuses de revue se déhanche en chantant bonbons, caramels, esquimaux, chocolat, instillant dans le cerveau de plusieurs générations de cinéphiles un rapport libidineux et quasi pavlovien entre les friandises citées et la tenue de l’ouvreuse (qui rejoindra ainsi au firmament des phantasmes masculins l’hôtesse de l’air et l’infirmière, mais ceci est une autre histoire).
Notons que certains coquins ne reculant devant rien, n’hésiteront pas à blasphémer en créant les paroles bonbons, caramels,esquimaux, chocolat, sucez les mamelles à Lollobrigida, que nous ne citons ici que par souci d’exhaustivité et de rigueur scientifique.
Ironie de l’histoire, c’est à Bruxelles (patrie d’Annie Cordy) qu’on construit en 1988 le premier multiplexe cinématographique qui envoie les ouvreuses pointer au chômage et, par là-même, voue à la surannéité bonbons, caramels, esquimaux, chocolat.
Dans ce cinéma moderne et bientôt numérique, les bonbons et les glaces sont en vente à l’entrée. L’envie de les croquer n’est suscitée que par les affriolantes publicités qui clament leurs vertus (amour, gloire et beauté en résumé), et nullement par l’appel mélodieux d’un bonbons, caramels, esquimaux, chocolat qui descendrait l’escalier vers l’écran, comme Cécile Sorel descendit le grand escalier Dorian du Casino de Paris, demandant arrivée : « L’ai-je bien descendu ?« .
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