[budé o dòmino] (gr. verb. DENT.)
Avant d’être un moderne vendeur de pizzas, le domino est un jeu de société venu du lointain et mystérieux Empire du milieu par la route de la soie.
Eh oui djeun’s lecteur, je sais, ça fait un choc. Mais tu n’es pas au bout de tes surprises : certains prétendent que Toutânkhamon était un grand adepte des petits rectangles marqués de points, il y a plus de deux mille trois cents ans !
Laissons de côté le onzième pharaon de la dix-huitième dynastie pour nous concentrer sur l’ivoire des rectangles deux fois plus longs que larges, qui est vraisemblablement à l’origine de l’utilisation du mot en synonyme de ratiche.
L’observation et l’imagination sont souvent la source de la création de toute expression surannée et c’est encore le cas dans celle qui sollicite notre attention en ces lignes.
Bouder aux dominos existe en tant que telle dans la règle du jeu : elle signifie alors que le joueur passe son tour, faute de pièce adéquate à jouer. Mais bouder aux dominos c’est aussi (et surtout) l’état dentifère incomplet de celui à qui il manque quelques pièces adéquates, dans le sourire cette fois.
On dira aisément de l’enfant de six ans qu’il a hâte de bouder aux dominos tant l’attente de la petite souris et de ses espèces sonnantes et trébuchantes est insoutenable, du blouson noir en Bleue ayant eu un différend avec une bande de Hell’s Angels en Harley Davidson sur la question du meilleur destrier pour régner sur la ville, qu’il boude aux dominos avec ses chicots absents, et du rugbyman aux oreilles en chou-fleur qu’il ne sera un véritable parangon de virilité que lorsqu’il boudera aux dominos.
Notons au passage que l’absence de chaille mesure le taux supposé de testostérone selon une échelle allant de la seconde molaire (la moins virile) à l’incisive centrale (la plus chargée), en passant graduellement par la première molaire, la canine et l’incisive latérale.
Le 11 janvier 1985, le gendre idéal dont rêve toute belle-mère, présente sur TF1 une émission dite Jeu de la vérité¹. Patrick Sabatier, jeune premier à la blancheur et à l’alignement dentaires parfaits, éblouit une France à l’haleine de saint Colomban qui ne se brosse pas les dents matin et soir avec Ultra-Brite®².
Dès le lendemain les dentistes sont débordés par les hommes boudant aux dominos soudainement rétrogradés dans l’estime sociétale. L’expression se fane en quelques jours, balayée par le succès des ratiches de Patrick.
Il devient impossible de bouder aux dominos, aussi les trois mots s’en vont-ils en surannéité. La petite souris échappe de peu à la tapette à rat : elle reste autorisée à s’occuper des édentés mais est priée de ne pas se faire remarquer.