[bufé sô briStô] (loc. profi. JOUI.)
Profiter du meilleur avant de se rabattre sur le tout-venant s’exprimait initialement dans l’une de ces maximes désuètes dont aiment à se repaître almanachs et présentateurs télévisés des vicissitudes météorologiques : « manger son pain blanc ».
Pour le bonhomme de la rue devant se contenter de miches grises à la farine gâtée, l’expression se devait d’être traduite en une langue plus proche de sa condition sous peine de confusion, la rue du pain étant alors synonyme de gosier et emprunter un pain sur la fournée de fornication pécheresse. Il eût été fâcheux de se fourvoyer.
Aussi créa-t-il bouffer son bricheton, en toute simplicité.
Applicable à la fois littéralement à la consommation d’un pain de bonne qualité et, par extension, à toute forme de jouissance immédiate de ce qui ne repasserait peut-être pas par là avant un moment, bouffer son bricheton s’installera donc, peinard, comme une version populaire de cette mie produite par une farine décolorée au bromate de potassium ou à l’azodicarbonamide et qu’il faut vite manger avant qu’elle ne durcisse.
Une réputation sybarite d’un rapport sans passion à l’effort productif
Le phénoménal succès de la baguette, deuxième monument français le plus connu de par le monde après la Tour Eiffel et bricheton par excellence, rendra l’expression incontournable pour tout procrastinateur préférant profiter de l’instant et remettre le pénible au lendemain.
L’usage sans modération de bouffer son bricheton vaudra au peuple français cette réputation sybarite d’un rapport sans passion à l’effort productif (notamment dans le cadre du travail dûment rémunéré) que d’aucuns lui croyaient avant tout octroyé par une célèbre fable de cigale ayant chanté tout l’été à laquelle une fourmi pas prêteuse conseille d’aller voir là-bas si elle y est.
Car qui a bouffé son bricheton se retrouve évidemment fort dépourvu quand la bise est venue.
C‘est d’ailleurs l’accumulation de nombreuses déconvenues qui conduiront le moderne – une fois arrivé aux affaires – à déclasser bouffer son bricheton et à la rendre surannée afin de préparer des lendemains pas forcément chantants compte tenu « des fluctuations d’indices et diverses tensions sur les marchés boursiers » comme on dit pour expliquer qu’il va falloir mettre un coup de collier.
La baguette sous le bras, l’expression oubliée, le jacteur ayant bouffé son bricheton s’en retournera bosser (mais ceci est une autre histoire).