[buʁe lə mu] (loc. verb. POLIT.)
Il n’y a pas la moindre trace de violence exercée à l’encontre d’un pauvre diable un peu lent à la comprenette dans l’expression étudiée ci-dessous. La langue surannée en vient rarement aux mains.
Bourrer le mou ne consiste nullement à passer à tabac l’idiot du village au regard torve et à la lèvre affaissée, aveux d’une certaine difficulté à réagir dans l’instant (mais qu’importe après tout). Pas plus n’est-il question de gaver un escargot traînant ou de forcer une tortue à accélérer en lui filant des coups de pied.
Enfin, bourrer le mou n’implique pas non plus de faire subir les derniers outrages à un apathique, nous tenions à le préciser pour les plus libidineux. Notons pour orienter la réflexion que bourrer la molle n’existe pas : une indication précieuse pour le chercheur en mots surannés et expressions désuètes.
Bourrer le mou fait tout simplement appel au mou comme synonyme du cerveau, la matière grise étant réputée comme peu solide voire malléable, ce qui précisément intéresse le bourreur de mou puisque bourrer le mou signifie mentir à quelqu’un, le manipuler en lui racontant des salades.
Féru d’expression surannées, Céline¹ en fait usage dans Mort à Crédit ce qui nous autorise à dater a minima bourrer le mou de 1936 et à lui conférer une prestigieuse origine.
Il est possible de bourrer le mou dans de nombreuses configurations allant de la chasse à la caille coiffée (le bourreur se présentera comme pilote de Formule 1 ou d’avion de chasse, agent secret ou Director manager of the World, au choix) aux promesses de campagne électorale qui, comme le veut la célèbre formule, « n’engagent que ceux qui les croient »².
C’est d’ailleurs cette dernière acception qui va précipiter bourrer le mou en surannéité.
Scandaleusement subversif pour les hommes et femmes faisant profession de la conquête du pouvoir, bourrer le mou ne pouvait plus longtemps qualifier leurs ambitions.
Après l’épisode avorté de la candidature d’un clown à la présidence de la République française (Coluche³, candidat du 30 octobre 1980 au 16 mars 1981), l’électeur fut convié à ne plus mentionner la contrainte sur cervelet exercée par l’engagement formel à raser gratis dès demain.
Dès le 1er mai 1981 bourrer le mou disparut du langage. À jamais.