[burër de pèɡr] (n. comp. JUST.)
Dans la chaîne qui mène le bandit de la maison poulaga à la Santé (ou tout autre établissement de standing similaire), celui-ci croisera plusieurs ouvrages à forte pagination qui auront tour à tour raison de lui. La France est un pays livresque, c’est ainsi.
Le voyou connaîtra tout d’abord la lourdeur du bottin, abécédaire téléphonique à forte pagination qui aide à délier les langues les plus avalées et ne laisse aucune trace après lecture. Une grande qualité sur laquelle nous ne possédons néanmoins que peu de témoignages.
En attendant qu’on le présente à ses juges, le truand compulsera dans sa geôle ces imprimés en quadrichromie dont il détachera les pages centrales pour les adhésiver au mur et se préparer des rêves roses. Paradoxalement, bien que plus léger que le bottin susnommé, lui¹, laisse des traces (mais ceci est une autre histoire).
Enfin, c’est un pansu et petit livre rouge qu’on agitera sous ses yeux en égrenant un certain nombre de ses articles et alinéas décrivant le droit chemin d’une langue si complexe que le suivre est un combat quotidien : c’est le bourreur de pègres.
Lancé en février 1810 par Napoléon Bonaparte (en remplacement de celui de 1791) le bourreur de pègres, dit aussi Code Pénal, contient dans ses quatre livres tout l’attirail pour châtier le contrevenant, sanctionner le délit, punir le crime et bannir l’illicite, autrement dit mater les différentes formes de crime organisé dont le passe-temps est de faire rien qu’à embêter les braves gens.
Le bourreur de pègres a vraisemblablement été créé par la langue des condamnés de Biribi, car on voit mal Jean-Baptiste Treilhard² qui « combat les vices de l’éducation, la contagion des mauvais exemples et l’oisiveté », utiliser un langage qui fleure le pavé des quartiers mal famés pour causer justice avec l’empereur.
Le pluriel rarement utilisé de pègres laisse sous-entendre toute la subtilité du bourreur de pègres qui saura faire la différence au cours de ses articles entre un voleur de poules et un bandit de grand chemin, entre un écorcheur de bonnes gens et un maladroit qui nettoyait son arme-et-le-coup-est-parti-tout-seul.
Quant au côté bourreur on y lit bien la vocation embastilleuse et ses subtilités : outre la réclusion, le bourreur de pègres propose comme châtiments le bannissement (trois en 1813), le carcan (six condamnés cette même année), les travaux forcés à temps (mille cinq cent quatre vingt cinq en 1813), la déportation, les travaux forcés à perpétuité (trois cent quarante six, toujours en 1813).
Le bourreur de pègres sévira jusqu’en 1994, date à laquelle il sera envoyé aux oubliettes par le Nouveau Code Pénal. Plus policé, excluant par exemple le marquage au fer rouge, ce livre moderne qui le clame haut et fort avec son « Nouveau » en lettres capitales sur la couverture du Dalloz ne peut tolérer d’être raillé par la canaille. Baveux et autres seront donc priés de l’appeler Code Pénal et puis c’est tout.