[brâlɡé] (n. comp. DANS.)
Les bonnes mœurs modernes sont souvent à l’origine d’une mise à la retraite de quelque mot qu’elles jugeront offensant pour les chastes pratiquants de la langue.Certes ces normes coutumières ou plus formelles sont nécessaires (il ne me siérait point par exemple d’effectuer un voyage en ascenseur avec le voisin du quatrième nu comme un vers et je juge adéquates les mœurs qui l’empêchent) mais force est de constater qu’elles nous gâchent parfois le plaisir de placer ça et là quelques expressions condamnées surannées.
En dehors de tout festival annuel sur la chose médiévale, il est fort mal aisé de fourguer dans une conversation de salon une tirade incluant un branle-gai. Et ce malgré toute l’ouverture d’esprit qu’on voudra légitimement reconnaître à ces années d’aujourd’hui qui promeuvent tolérance et respect des choix de chacun (la modernité sait aussi faire des choses bien). Vous me raconterez ce que vous voulez, « Tiens, si on se faisait un petit branle-gai ? » continuera de choquer à brûle-pourpoint, le dimanche à la table familiale.
Que celui qui a pu l’utiliser récemment me jette la première pierre. Personne ? Je continue.
Honni soit qui mal y pense serais-je tenter de rétorquer à ces foutues bonnes mœurs qui nous coupent la chique. Que n’avez vous jeté au clou en nous interdisant de prononcer branle-gai ! On vous parle ici d’ancien ƒrançois, de la langue de Villon, de Rabelais, de cette France allant du règne d’Henri III à la mort de Louis XIV, quand on dansait alors le branle-gai ! Mais oui, cette danse au tempo modéré et au rythme binaire (parfois tertiaire), celle qui commençait le bal avant toutes les autres danses.
À l’époque dont il est question on branlait par trois fois. Les plus âgés exécutaient un branle double assez lent. Les plus novices faisaient dans le branle simple car il faut bien apprendre avant de maîtriser. Et ceux qui savaient pratiquer exécutaient le fameux branle-gai, là, devant tout le monde, au milieu de la piste, toujours du côté gauche en deux fois quatre pas et une pause.
On élargit le pied gauche et on lance le pied droit. On ramène le pied droit près du gauche et on lance le pied gauche. On ramène le pied gauche près du pied droit et on fait une pause. Et on reprend depuis le début. Plutôt simple, n’est-il-pas ?
Querelles régionales oblige, on branle plus vite en Bourgogne qu’en Champagne où l’on branle en croisant le pied droit devant le gauche entre les temps un et deux, ce qui donne encore plus d’élan. Que voulez-vous, dans ce royaume de France on trouve toujours un moyen de marquer sa différence. Mais on y branle tant qu’on peut.
Désormais branle-gai est censuré et la danse a bien changé. Et puis la Main Jaune a fermé, le slow a disparu, et le pogo a trop cassé. Le corps n’a plus droit de cité, cet indécent.
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