[brwajé de lo dâ ê mòrtjé] (loc. verb. ELEM.)
Selon les théories d’Empédocle et ses confrères, chaque parcelle de l’univers est constituée à partir d’un, deux, trois ou quatre éléments : la Terre, l’eau, l’air, le feu.
À la base du Tout, ces quatre composants sont aussi à la base du Rien. Du véritable rien, du néant. Plongeons-y pour bien définir.
Un Grand Rien qu’on retrouve dans tondre la banquise (c’est de la Terre, gelée certes, mais c’est bien de la Terre qu’il s’agit), dans brasser de l’air, dans se chauffer à la cheminée du roi René (le feu, évidemment) et enfin dans broyer de l’eau dans un mortier.
« Connais premièrement la quadruple racine
de toutes choses : Zeus aux feux lumineux,
Héra mère de vie, et puis Aidônéus,
Nestis enfin, aux pleurs dont les mortels s’abreuvent. »
Broyer de l’eau dans un mortier est donc la quatrième expression, très largement inspirée de la théorie classique d’Aristote, visant à qualifier l’activité d’un sous-chef du service photocopieuse, d’un directeur adjoint responsable des trombones et agrafes, d’un facilitateur en charge du consensus building, ou plus globalement de n’importe quel compétent compétant plus haut que son point d’indice hiérarchique.
Bien entendu broyer de l’eau dans un mortier n’est pas une activité spécifique à l’organisation de l’entreprise ou de l’administration. On peut broyer de l’eau dans un mortier dans tous les domaines de l’action : politique, art, culture, sport, etc.
Le discoureur qui s’enflamme et sonne creux broie de l’eau dans un mortier, le piètre copieur du monochrome Carré blanc sur fond blanc de Malevitch broie de l’eau dans un mortier¹, le phraseur qui brille en empilant les syllabes et les truismes broie de l’eau dans un mortier et le mauvais avant-centre qui s’agite et réclame le ballon dont il ne saura que faire s’avère tout aussi plein de vide.
Avec sa construction d’essence surréaliste, broyer de l’eau dans un mortier est une ode au Néant (la fatuité, pas le cabaret de Montmartre) et c’est bien pour cela qu’il deviendra d’un usage suranné après les disparitions d’André Breton (1966) et René Magritte (1967).
Toujours overbooké et surtout pertinent, le moderne n’a que faire d’une telle expression. S’il advenait qu’il la croise, tel une poule découvrant un couteau (de Lichtenberg) il la renverra dans l’ombre et ira faire un PowerPoint™. C’est du sacré boulot, les PowerPoint™.