[lə kaʃ telefɔn ɑ̃ vəluʁ] (gr. n. PTT.)
L‘une des caractéristiques des années surannées est celle de leur goût, disons particulier, pour les formes et les matières et de leur créativité exacerbée, n’hésitant pas à faire resplendir les verts et les oranges, à marier les fourrures et les dorures, à magnifier plastiques et bois rustiques.
Cette aventure exploratoire nous porta aux confins des chemins de l’esthétique jusqu’à envisager des objets désormais étranges dont la simple évocation rime avec suranné; il en est ainsi du cache téléphone en velours que nous explorons aujourd’hui.
La datation au carbon 14 nous emmène en 1971 dans un appartement de la classe moyenne pompidolienne venant justement de bénéficier du grand plan de développement des PTT voulu par le Président de la République grâce auquel trône sur le buffet du salon un magnifique combiné téléphonique.
Un fil le relie à la prise murale qu’un aimable et serviable employé qualifié des Postes, Télégraphes et Téléphones est venu installer après six mois d’attente et, il faut bien l’avouer ici, un gros coup de piston de Monsieur D. l’adjoint-comptable qui connaît par son beau-frère le responsable des affectations prioritaires des lignes dans le XIVᵉ arrondissement et qui avait promis de lui glisser un mot. Il est sympathique ce Monsieur D. Grâce à son entregent un téléphone grisâtre nous relie désormais au monde entier; enfin au monde qui a aussi le téléphone. C’est à dire pas tant de monde que ça, mais ça n’a pas d’importance.
Nous en sommes là de l’incursion du progrès dans le foyer quand surgit l’exigence esthétique d’un cache téléphone en velours.
L’harmonie avec les rideaux, la tapisserie, la moquette épaisse, le canapé, les fauteuils et les meubles est en péril avec ce morceau de modernité brute et quoi de mieux alors pour rétablir l’ordre des choses qu’un cache téléphone en velours ? Il sera orange ou vert, voire rouge, selon les goûts de l’hôte du logis. Raffinement suprême il aura aussi son extension cache-écouteur et comble de la sophistication un rabat qui viendra recouvrir le cadran. Le velours noblement côtelée recouvre de sa suavité naturelle et de son élégance altière l’invention de Graham Bell.
Les chercheurs se sont peu interrogés sur le sens profond de cette impérieuse volonté de draper un outil si moderne dans des étoffes d’époque. Aucune thèse, aucune publication. Le cache téléphone en velours comme voile pudique jeté sur une modernité envahissante serait-il cet ultime rempart tentant d’arrêter le progrès ?
Le cache téléphone en velours a disparu depuis que le téléphone lui-même ne laisse plus traîner son fil au milieu du salon. Il a accompagné au grenier son complice de bakélite ou de plastic. Le téléphone pleure encore parfois, les mots se meurent toujours dans l’écouteur mais personne ne les entend plus, sauf ce bon vieux cache téléphone en velours.
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