[kado bòny] (marq. dép. HYG.)
Quintessence du courant hygiéniste qui irrigua notre société de ses théories politiques et sociales depuis le milieu du XIXᵉ siècle, la lessive est l’aboutissement des réalisations menées sur l’urbanisme, la santé publique, l’épidémiologie, et tant de sujets qu’il nous faudrait des heures pour tous les balayer.
Disons pour être simple que l’hygiénisme sanitaire trouve son couronnement dans l’alkylbenzènesulfonate, le laurylsulfate, le dodécylbenzènesulfonate, l’acide éthylène diamine tétraacétique évidemment, le tout affublé d’un parfum du grand large ou des cimes altières et d’une jolie couleur bleue, verte ou rose.
Afin de formater des générations entières à la nécessité impérieuse d’un linge propre conformément aux principes sus-évoqués et, ne nous en cachons pas, d’assurer à ses actionnaires un confort matériel de bon aloi, Procter & Gamble¹ eut un beau jour l’idée de faire des enfants de véritables potentats (en langue mercatique moderne on dit des prescripteurs) en créant le cadeau Bonux.
D’un machiavélisme retors à côté duquel ledit Machiavel passerait pour Casimir (celui de l’Île aux enfants), l’opération cadeau Bonux consiste à glisser dans un baril de lessive une babiole destinée aux enfants (et fabriquée par d’autres enfants à l’autre bout de la planète mais ceci est une autre histoire) qui, de fait, s’intéressent tout autant que la parfaite ménagère d’alors aux produits lessiviels (on est dans les années surannées et la parfaite ménagère est un concept d’époque²).
Ainsi, lorsque le chef de famille est de retour des courses hebdomadaires², le ou les enfants de la maison se ruent-ils sur lui pour vérifier l’achat de la bonne lessive : Bonux et son cadeau Bonux. L’acquisition de tout autre produit détergent déclenchant une crise de niveau 8 nécessitant réunion du conseil de sécurité dans l’instant, tout foyer organisé aura veillé à inscrire sur la liste des emplettes Bonux et nul autre ersatz. Car le cadeau Bonux ne se trouve évidemment que dans le baril de lessive Bonux; c’est du marketing, pas de l’humanitaire !
Au cours d’une enfance surannée, j’exigerai que ma mère lave tout au Bonux et l’obligerai par un comportement volontairement salissant³ (sauts dans la boue, match de foot sur terrain herbeux, exploration à plat ventre de zones terreuses, etc.) à effectuer des lessives régulières, assurant ainsi la bonne fortune de la multinationale américaine et l’inspiration d’un des plus grands groupes de rock’n roll du monde.
🎼🎶When I’m watchin’ my tv and a man comes on and tell me
How white my shirts can be
But, he can’t be a man ’cause he doesn’t smoke
The same cigarettes as me🎶I can’t get no, oh, no, no, no, hey, hey, hey
That’s what I say🎶
I can’t get no satisfaction, I can’t get girl reaction
‘Cause I try and I try and I try and I try
I can’t get no, I can’t get no🎶🎶
De jaloux concurrents enverront le cadeau Bonux au plus profond du baril de lessive devenu lui aussi suranné, avec l’invention de la lessive liquide incapable pour sa part de cacher un cadeau. Terminé le bonus de Bonux, la lessive est devenue l’affaire de tous, la ménagère n’existe plus. C’est bon pour l’égalité des tâches et des taches mais c’est bien triste pour les enfants.
Adieu petite voiture, adieu sifflet strident, adieu mètre enrouleur, adieu cyclistes du Tour de France…
Heureusement qu’on est mardi, je vais acheter mon Pif Gadget !