[kapitèn de batolavwar] (n. comp. HADDOC.)
Bien avant que la mère Denis ne nous prescrive avec insistance la nécessaire confiance à mettre dans les machines à laver Vedette¹, le linge se lavait en communauté dans des lieux où coulait une rivière ou un fleuve, puisque l’huile de coude et l’eau sont les ingrédients premiers de la propreté vestimentaire².
La lavandière urbaine de Paris ou de Lyon se rendait, panier d’osier sous le bras, jusqu’au bateau-lavoir pour y frotter chemises, plastrons et pantalons. Là, elle y retrouvait d’autres lavandières tout comme elle affairées à faire triompher la propreté et, en sus, à commenter l’actualité des vedettes (celles du music-hall, pas celles de la mère Denis puisqu’elles n’existent pas encore, cf. princeps) et des quidams du quartier, décernant au plus déconfit d’entre eux le grade de Capitaine de bateau-lavoir.
Le bateau-lavoir étant une modeste barge terminant son périple au long cours le long d’une berge de Seine ou de Rhône, on imaginera aisément que son Capitaine soit tout au mieux un vieux bourlingueur rongé par le scorbut ou plus vraisemblablement l’alcool, venant rêver de Valparaiso, de Manille ou de Pondichéry au pied du quai Bourbon ou du pont Lafayette. Bref, l’ombre de ce qu’il fut peut-être, mais rien de plus. Le Capitaine du bateau-lavoir n’est donc pas haut dans l’estime des gouailleuses du nettoyage qui le rhabillent pour l’hiver.
La rumeur prenant ses aises grâce à ces centaines de blanchisseuses à la langue bien pendue, qui est affublé du titre « déshonorifique » de Capitaine de bateau-lavoir se trouve avec un costard bien taillé qu’il aura bien du mal à ôter.
Capitaine de bateau-lavoir quitte très vite les quais sur lesquels il est né pour devenir l’avanie bien sentie balancée à tout incompétent prétentieux et vantard, homme qui a vu l’homme qui a vu l’ours ou matamore d’opérette. Et comme le genre de bonhomme ne manque pas, on se met à croiser des Capitaines de bateau-lavoir de plus en plus loin des rivières.
La capitaine Haddock lui-même, vieux loup de mer pourfendant les ganaches, prenant quelques libertés avec l’expression (mais qui saurait lui en vouloir) usera d’un tonitruant Amiral du bateau-lavoir, faisant donc monter en grade dans la bêtise la cible de sa vindicte.
Heureusement, une industrie charitable cherchant à libérer la lavandière de sa tâche harassante, présentera à la Foire de Paris de 1930 la première machine à laver à moteur électrique. Trente années plus tard la rombière aura totalement disparu et le Capitaine de bateau-lavoir avec elle.
L’expression demeurera inutile, le moderne faisant montre de compétence et justesse en toute occasion. Seul Jacques Prévert osera une dernière fois quelques vers interprétés par les Frères Jacques pour faire revivre le Capitaine de bateau-lavoir mais ses rimes se perdront elles aussi.