[kardiɡâ] (n. masc. BONET.)
Non que les temps surannés furent plus froids que l’époque actuelle (bien « qu’avec leurs expériences nucléaires ils nous aient détraqué la météo » comme dirait Madame Musquin), mais ma mémoire me rappelle que les précautions vestimentaires de maintien d’une température interne constante prises par ma mère étaient pour le moins draconiennes. Pour vous en simplifier la compréhension je dirais que lorsqu’elle avait froid – elle qui ne jouait pas au foot, qui n’était ni cow-boy ni indien, elle qui ne grimpait pas aux arbres – je devais mettre un cardigan. Vous imaginez sans mal la tronche de Billy The Kid braquant la Wells Fargo en cardigan, le look de Platini en cardigan en finale de la Coupe du Monde face au Brésil à 0-0 à trois minutes de la fin¹ ou Tarzan l’homme-singe en cardigan…Et surtout, surtout, vous imaginez l’impératif suranné lorsqu’il m’était enjoint à voix haute de « venir mettre mon cardigan ». D’aucuns auraient dit « un gilet », « une petite laine », « un chandail » ou pourquoi pas « un tricot » mais non, pour moi c’était un cardigan.
Il faut que vous sachiez qu’il se raconte que ce vêtement aurait été inventé au XIXᵉ siècle par James Thomas Brudenell, comte de Cardigan de son état. Militaire frustre et bourru comme il se doit, se sentant à l’étroit dans son pull-over, il aurait découpé la maille réglementaire d’un coup de sabre. Ça aurait pu lui valoir le peloton d’exécution (on ne rigole pas avec l’étiquette dans l’armée galloise), ça lui donna une postérité désormais surannée. Coco Chanel le porta au firmament de la mode en 1920 en l’associant à son fameux tailleur et hop, la veste de laine boutonnée sur le devant entra dans le dressing des familles surannées elles aussi.
Le question majeure de mon rapport au cardigan ne résidait finalement pas dans l’exotisme du nom auquel j’étais habitué mais dans la reproductibilité de sa présence dans ma garde-robe, facilitée par l’existence de la machine à tricoter. L’achat de l’engin infernal avait dû faire l’objet d’un savant calcul de rentabilité et ma mère produisait donc à la chaîne des cardigans de laine qui gratte, tous destinés à me permettre de ne pas prendre froid d’une part et à me ridiculiser un peu plus auprès de mes camarades moqueurs d’autre part. Oui, quand tout le monde porte un K-way parce que c’est la mode et que tu te vêtis d’un cardigan c’est la honte assurée. Et quand le cardigan est jaune poussin, c’est la fin…
Je passai ainsi une enfance en cardigan, brisant dans l’œuf ma destinée de bandit de grand chemin, ma carrière footballistique prometteuse et la mise en coupe réglée de la jungle et de ses animaux. En compensation je n’attrapai jamais froid et bénéficiai d’une santé de fer.
On n’a rien sans rien. Merci maman.
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