[karte pòstal] (n. fém. BISOU.)
Chers parents, je suis bien arrivé en colo. Les monos sont sympas et je m’amuse bien, j’ai plein de copains. Il fait beau et on fait des cabanes dans les bois. Je vous embrasse.En ces années surannées où l’on passait l’été chez papy et mamie, en colo, à l’île de Ré, au Pyla ou ailleurs, il nous fallait bien rassurer l’autorité sur notre arrivée sur zone et le caractère pacifié des lieux. Non qu’une angoisse outrancière la tarauda alors, l’absence de connexion permanente autorisant à ne pas se faire de mouron, mais il lui fallait juste acquérir une certitude raisonnable sur l’arrivée à bon port de la marmaille héritière.
Pour ce faire nous utilisions alors le truchement désormais diablement suranné d’une carte postale.
Morceau de papier cartonné de forme rectangulaire et de format 10,5 x 14,8 centimètres, la carte postale comportait en son recto une photo des lieux visités prise avec plus ou moins de talent par un photographe plus ou moins professionnel. Née en 1865 en Autriche sur l’idée du docteur Heinrich von Stephan, directeur-général des Postes et principal initiateur de l’Union postale universelle, la carte postale mit quelques années à acquérir ses lettres de noblesses puisqu’il lui fallu l’exposition universelle de 1889 et une représentation de la Tour Eiffel qui se vendit à 300 000 exemplaires pour essaimer de par le monde.
Croyez-moi si vous le voulez (ou maudissez mon âme pour qu’elle finisse en enfer) le verso de la carte postale ne fut imaginé qu’en 1904 ! Eh oui, c’est au début du XXᵉ siècle qu’on découvre la possibilité d’écrire de l’autre coté et surtout que l’on obtient de l’administration le droit de le faire. Et là c’est le boum. La carte postale s’adresse à qui mieux mieux, chargée de promesses et de messages joyeux. Les cartophiles datent même la période 1918-1975 comme un âge d’or dit semi-moderne de la chose, par opposition à l’âge moderne débutant juste après avec l’impression selon le procédé offset.
De notre point de vue nous considérerons toute forme de carte postale comme surannée, la vraie modernité consistant à ne pas donner de nouvelles parce que papy et mamie restés à la ville peuvent bien caner sous canicule ils ne vont pas nous gâcher nos vacances à la mer, parce qu’on s’en fout de faire savoir qu’on s’éclate à Ibiza ils n’avaient qu’à venir.
Semi-moderne de mon état j’ai donc passé quelques heures de mes étés à gribouiller maladroitement quelques banalités et gros bisous qui, je l’ai su bien plus tard, mirent plus de soleil dans le cœur de ceux qui recevaient ma prose que n’aurait pu le faire Albert Simon¹ lui-même. Mes cartes postales ornaient au fil des années le réfrigérateur d’une arrière-grand-mère, le meuble de salon de grands-parents ou le pourtour du miroir magistral d’une grande-tante. Elles ne racontaient rien de bien particulier si ce n’était que je pensais (un petit peu) à eux et que bien entendu j’étais bien arrivé et les monos et les copains étaient sympas.
Soit la carte postale est devenue diablement surannée soit les monos sont devenus sacrément antipathiques. Ou bien vous ne savez même plus écrire. Ou tu m’as oublié.