[kasé la ɡël a ên- âfâ de kër] (loc. verb. VIN.)
Nulle violence n’a été exercée contre quelque petit chanteur à la croix de bois pendant la rédaction de cette chronique. Et nous n’y pouvons rien si la langue surannée est parfois un peu gauche et directe dans son imagerie.
Pressez-vous vers l’étude rigoureuse qui suit et vous découvrirez combien la référence liturgique du servant d’autel est aimable. Nettement plus en tout cas que son honni synonyme dont on comprend aisément pourquoi il est aujourd’hui disparu : casser le cou à une négresse.
Casser la gueule à un enfant de chœur n’est donc pas agressif. Qui pour en vouloir au cérémoniaire, chef de la petite troupe, au thuriféraire et à son encensoir, aux deux acolytes portant les cierges, les offrandes, les burettes, aux céroféraires ployant sous les flambeaux, ou au cruciféraire charriant la lourde croix ? Personne, évidemment ! Il faudrait être bien vil pour prendre au pied de la lettre casser la gueule à un enfant de chœur… et s’en prendre à une enfance encore naïve puisque c’est là aussi le sens suranné d’enfant de chœur, nous y reviendrons un jour.
Casser la gueule à un enfant de chœur trouve son explication dans la soutanelle rouge que porte le petit assistant du curé, celle-ci s’apparentant pour le buveur – gros pourvoyeur d’expressions aidant à dissimuler son plaisir viticole – à la cire cachetant le goulot des bouteilles. Un habillage qui met le bouchon à l’abri des cirons du liège et de certaines moisissures, mais qui n’aurait pas totalement permis de mettre à l’abri de certaines pourritures les petits enfants de chœur.
Casser la gueule à un enfant de chœur est donc une expression de pochtron assidu en communion, peut-être pour y profiter d’un canon de vin de messe ou partager après les vêpres quelques lichettes de l’ami du clergé, plutôt que pour y honorer le Saint Esprit et ses dix commandements. Car casser la gueule à un enfant de chœur suppose qu’on vide la bouteille toute entière, pas qu’on l’économise : la modération n’est pas un pêché capital pour le paroissien qui a la dalle en pente.
Casser la gueule à un enfant de chœur nous rappelle que l’art de la vigne fut longtemps celui des moines, comme par exemple en Bourgogne où le travail de la communauté de l’ordre cistercien de l’abbaye de Cîteaux s’exerça en Côte de Beaune¹ et Côte de Nuits², ou dans la Marne où le hasard fit découvrir au bénédictin dom Pérignon, que nous ne remercierons jamais assez, la fermentation en bouteille qui allait nous donner le Champagne.
La loi de 1905 sur la séparation des Églises et de l’État, dite aussi de séparation des Églises et des bars-tabacs dans le milieu de la gaudriole, donna un coup d’arrêt à casser la gueule à un enfant de chœur. La fille aînée de l’Église prit ses distances pour ce qui était de la foi, un peu moins pour ce qui était du vin, et l’expression d’argot de presbytère fila au suranné.
Mais comme la culture bien française du bien boire ne pouvait demeurer sans langue imagée, voilà qu’arrivait faire péter la roteuse. Mais ceci est une autre histoire. Amen.