[kasé le tèrmòmètr] (loc. médic. TEMP.)
Qu’il fonctionne par introduction buccale ou rectale, le thermomètre est un petit outil pratique pour prendre la mesure de la fièvre qui peut s’emparer de chacun, un samedi soir ou tout autre jour de la semaine.
Initialement utilisé par Galilée dès 1592 pour déterminer la température de l’air et ainsi décider s’il fallait mettre une cagoule ou non, le thermomètre est devenu médical vers 1835 quand Antoine Becquerel et Gilbert Breschet ont démontré qu’au-delà de 37°2 le matin on est autorisé à ne pas aller à l’école. Avec sa colonne de mercure et d’azote, l’outil fournit un diagnostic sans erreur : 39° et c’est au lit avec un grog, 37,2° et c’est au boulot et au trot.
Ce n’est pas pour autant la frustration du cancre obligé qui explique la création de l’expression casser le thermomètre.
Feindre de ne pas voir une situation gênante, puisque c’est le sens de casser le thermomètre, n’est pas une attitude qu’on peut attribuer à l’innocent cherchant tout simplement à éviter une pénible leçon sur les fleuves de France¹. C’est au contraire du puissant cachant la poussière sous le tapis dont on dit qu’il casse le thermomètre, préférant s’éloigner des responsabilités en détournant le regard.
Qu’elle soit jaune, brune ou du Saturday Night, la fièvre doit se traiter sous peine de complications
Casser le thermomètre est réservé à celui qui refuse de régler une question et laisse la température monter. Or, qu’elle soit jaune, brune ou du Saturday Night², la fièvre doit se traiter sous peine de complications. Casser le thermomètre décrit une lâcheté, une trahison.
Notons que casser le thermomètre ne s’applique pas si c’est le savoir-vivre qui enjoint de fermer les yeux sur un sujet encombrant : par exemple, on ne signalera pas à son interlocuteur (s’il n’est pas un intime) que sa braguette est ouverte.
C’est l’invention de la téléréalité, concept moderne de divertissement télévisuel consistant à montrer l’insignifiance de situations banales occupant à temps plein de pauvres hères choisis pour leur spontanéité sans filtre, qui va envoyer casser le thermomètre en surannéité.
À partir du 26 avril 2001³ il n’est plus possible d’ignorer des situations malaisantes puisqu’elles sont désormais filmées et diffusées vingt-quatre heures sur vingt-quatre devant cinq millions de téléspectateurs qui se délectent de leur platitude. Cassant le thermomètre une dernière fois puisque n’y voyant rien de fâcheux, les fabricants de programmes télévisés vont dès lors rivaliser de créativité, se lançant dans une course effrénée vers le vide (qui a le bon goût de remplir les caisses).
Tout devrait bien se passer et la supercherie ne jamais s’éventer, casser le thermomètre étant désormais une expression désuète.