[kasé yn ru de dèrjèr] (verb. prem. gr. ARGEN.)
Ahahahahah me gaussè-je ! Tous les libidineux qui se délectaient à l’avance en ayant lu le titre de cette bien chaste chronique vont s’y casser les dents. Qu’ils ne fassent pas les innocents, je lis dans leurs pensées comme dans un livre ouvert avec une page centrale et son poster qui tient en trois volets. Eh bien les coquins en seront pour leurs frais car pour une fois nous parlerons d’argent.
En des temps que l’inflation et des manœuvres spéculatives sur les dettes souveraines ont rendus fort fort lointains, la pièce, qu’elle fut de cinq francs avec sa semeuse, de cinq francs argent avec Hercule ou Cérès côté face, écu de six francs, écu de six livres ou même de cent sous, permettait d’acheter de quoi se sustenter¹, se distraire, se cultiver ou encore boire un breuvage houblonné. Et en ces temps dont nous parlons, cette pièce sur laquelle on peut donc compter c’est la roue de derrière.
La roue de derrière est extraite du langage des cochers, pour qui elle fait plus que la rue Michel quand elle rémunère une course. C’est son diamètre plus imposant que celui des roues de devant qui en fait l’équivalent d’une pièce de cinq francs plus respectable elle aussi qu’une autre de un franc, qui lui vaut l’appellation circulaire.
Casser une roue de derrière du fiacre c’est l’assurance d’une journée passée à réparer, casser une roue de derrière c’est pour l’ouvrier ou l’employé l’assurance d’une journée à trimer. En 1890, dans le département de la Seine, un cocher gagne 5,75 francs par jour pour 16 heures de travail; casser une roue de derrière c’est donc entamer le pécule d’une journée de labeur, ce qui mérite au moins une expression !
La valeur de la roue de derrière diminuera avec le diamètre de celle des véhicules, l’hippomobile laissant peu à peu place à l’automobile et la roue de bois cerclée de fer au pneu Michelin. Francs dits anciens, Francs dits nouveaux puis Euros gommeront tout le sens de casser une roue de derrière, cinq Francs se changeant en soixante seize centimes autrement dit quelques menues piécettes ne permettant pas même l’achat d’une baguette.
Casser une roue de derrière ne dit rien à tous ceux qui n’ont jamais connu Pif Gadget à 5 Francs, le litre d’essence et le demi sans faux col au même prix. Payer est devenu ludique et même ergonomique ! C’est tellement plus pratique (pour faire bouger le prix sans que nul ne bronche, s’entend). Grâce à l’iPhone, la roue de derrière a roulé jusqu’à devenir surannée, et puis elle s’est cassée.