Catégorie : Faits divers

Lutiner [lytine]

Fig. A. Fripon et friponne lutinant.

Lutiner est avant tout délicieux.

Il regorge d’esprit fripon, d’espièglerie et de galanterie, même si l’âme animale n’est jamais très loin (il faut bien que le corps exulte comme disait le grand Jacques). Lutiner a aussi une fugacité, une légèreté voire une désinvolture qui frise l’insouciance. Lutiner appelle au regard, au toucher, au parfum et pourquoi pas au goût ! C’est le plus sensoriel et le plus sensuel des verbes de la séduction. C’est aussi pour ça qu’il est tant suranné.

Je l’aime bien ce lutiner.

Un petit cordial [ɛ̃ pəti kɔʁdjal]

Fig. A. Fred-Zizi, le petit cordial.

[ɛ̃ pəti kɔʁdjal] (gr. n. BOISS.)

Bien-pensance aidant, le petit cordial ne s’offre plus.

Peut-être sent-il trop la Gauloise ou la Gitane maïs, le zinc et la convivialité à papa. Mais force est de constater qu’il n’est plus guère cité en ouverture d’agapes amicales impromptues.

« Jeannot, mets-nous un p’tit cordial » reste cantonné à Un singe en hiver, ce qui est éminemment sympathique et terriblement suranné.

Je ne reprocherai pas ici à une époque de vouloir repousser la consommation de ses drogues légales, loin de moi cette idée. Je lui ferai juste remarquer que le petit cordial aurait pu conserver toutes ses qualités en se parant des vertus de la modernité.

Derechef [dəʁəʃɛf]

Fig. A. De la réitération. Derechef et presto.

[dəʁəʃɛf] (n. m. RAPID.)

Derechef se marie bien à illico. Je trouve. Sa rime synonymique avec de nouveau peut-être. Surtout, derechef contient un je ne sais quoi d’impérieux, de magnifique, voire de dictatorial; son chef peut être ? Il y a du sbire dans derechef, du sous-fifre, de l’arpette, du second couteau. Derechef en impose, à l’ancienne, à la Gabin, à la Lino Ventura. Tu sens bien que l’explication de texte n’est pas loin si tu ne t’y conformes pas. Derechef nous la joue au regard sans avoir à en faire un peu plus.

Il y a chez derechef cette autorité naturelle, ce charisme que peu de mots charrient avec eux. Derechef est un mot comme on n’en fait plus.

Frimousse [fʁimus]

Fig. A. Frimousse en noir et blanc.

[fʁimus] (fam. FIG.)

La frimousse est une zone du corps qui se définit généralement par sa petitesse et la nécessité rapide d’un lavage en règle.

Sous sa première caractérisation de « petite frimousse« , elle apporte une idée de sympathie voire d’harmonie esthétique. Sous son appellation secondaire de « va te laver la frimousse«  elle s’inscrit dans une urgence quelque peu relative de respect des conditions d’hygiène nécessaires à la vie en communauté. Il est à noter que la frimousse bénéficiera favorablement d’une imagerie en noir et blanc (cf. œuvre complète de Robert Doisneau) et d’un énoncé par la voix de maman. C’est d’ailleurs uniquement pour ça que frimousse est surannée.

L’adolescence aidant, frimousse deviendra dans le meilleur des cas belle gueule, dans le pire sale tronche, toutes deux nettement plus contemporaines. Je n’y peux rien, ce n’est pas moi qui commande, c’est la vie des mots.

100 francs [100 fʁɑ̃]

Fig. A. Un fafiot de 100 francs.

[100 fʁɑ̃] (unit. mon. ARGE.)

Je suis au regret de vous annoncer que si vous voyez exactement à quoi correspondent 100 francs, si vous avez machinalement effectué une conversion dans votre tête, si vous avez repensé à tout ce que vous pouviez acheter avec 100 francs, vous êtes suranné. Eh oui, 100 francs a pour caractéristique de surannéiser quiconque l’évoque, c’est ainsi.

Son pouvoir est instantané et immense auprès des plus de 40 ans. D’ailleurs 100 francs s’accompagne généralement de lunettes de presbyte et d’un goût immodéré pour les génériques de dessins animés (Capitaine Flam, Goldorak, Candie, etc.).

Le syndrome est dit maximalis lorsque le patient est capable de donner les dimensions et couleurs du billet qui en portait les caractéristiques numéraires.

100 francs ne se soigne pas mais ne gêne pas au quotidien. Il n’y a pas de traitement valable à ce jour, laissez le temps passer.

Chocolatine [ʃɔkɔlatin]

Fig. A. Boulanger de la Belle Province préparant une chocolatine.

[ʃɔkɔlatin] (pain. choc. PÂTISS.)

Il n’y a pas de débat, je le sais : on dit pain au chocolat.

Néanmoins, dans quelque coin reculé où le Train à Grande Vitesse n’a pu encore déployer ses cohortes citadines, d’étranges autochtones s’enorgueillissent de dévorer chocolatines.

Comment, sans trop leur faire de peine, les ramener à la raison ? Et après tout ne sont-ils pas charmants avec leur entêtement ?

Je déclare donc ici l’appellation chocolatine si surannée qu’elle en est par là même protégée. Chocolatine sera ce lointain cousin de la Belle Province qu’on a croisé en enfance et qui nous a tant fait rire. Son langage imagé a ravi tant de soirées, fait naître tant de questions qu’il a une place à part dans notre cœur. Qu’il nous régale encore.

Treize à la douzaine [tʁɛz a la duzɛn]

Fig 5. Label de qualité. USA.

Fig 5. Label de qualité. USA.

[tʁɛz a la duzɛn] (exp. maraich. MARCH.)

Je vous parle du temps d’avant le packaging, lorsque l’allée pénétrante n’existait pas, que les gondoles ne voguaient qu’à Venise, et que le panier moyen était fait en osier.

C’était le temps du treize à la douzaine, cette délicieuse pratique qu’on n’appelait pas commerciale tellement elle paraissait frappée au coin du bon sens.Offrir un treizième fruit parce que sur les douze autres il était possible d’en trouver un trop mûr, une huître de plus pour celle qu’on allait abîmer en la forçant, un œuf de plus pour compenser celui qu’on ferait tomber. Un geste de coutume, de ceux qui entretiennent les bonnes relations. Je l’aimais bien ce geste, plus sympathique que les 33% d’un produit girafe et moins vulgaire qu’un stop rayon.

On remerciait le maraîcher ou la caissière et on revenait le lendemain leur dire que décidément, leurs fruits étaient bien les meilleurs de la région.

Nationale 7 [nasjɔnal 7]

Fig. A. 2Cv sur la route des vacances.

[nasjɔnal 7] (rout. RN7)

Allez viens, on prend la 2Cv et c’est parti ! Vive les vacances. On mettra deux jours pour arriver mais on s’en fiche, on est heureux, on va voir la mer. Tu sens la garrigue ? Tu entends les cigales ?

🎼🎶De toutes les routes de France d’Europe
Celle que j’préfère est celle qui conduit
En auto ou en auto-stop
Vers les rivages du Midi🎶

🎶🎶Nationale 7
Il faut la prendre qu’on aille à Rome à Sète
Que l’on soit deux trois quatre cinq six ou sept
C’est une route qui fait recette🎶
🎶Route des vacances
Qui traverse la Bourgogne et la Provence🎶

Tapioca [tapjɔka]

Fig. A. Manioc pour tapioca.

[tapjɔka] (n. com. FEC.)
Le tapioca c’est n’importe quoi. Une sorte de bouillie approximative, plus proche du lendemain de fête que du truc comestible… qui pourtant produit d’excellents mets une fois passé dans des mains expertes (pas les miennes). Le tapioca c’est comme le rutabaga; une bizarrerie qui flirte entre exotisme et popote d’avant-guerre, et qui pourrait bien revenir à la mode très rapidement grâce aux tenants du sans gluten, aux bobos et tous ceux qui nous bousillent notre suranné en en faisant du mainstream. Touche pas au tapioca !

Carabistouilles [kaʁabistuj]

Fig. A. M. Brun. Don de la maison Marcel Pagnol.

[kaʁabistuj] (probl. EXCLAM.)
Carabistouilles sent bon l’embrouille mais l’embrouille méridionale.

Ne me demandez pas pourquoi, c’est comme ça. La carabistouille c’est Panisse, c’est Monsieur Brun, c’est du Pagnol. La carabistouille est nécessairement Marseillaise. Elle charrie dans ses syllabes l’arnaque sans conséquences, la voix qui monte pour faire peur sans bien y parvenir, et le manque d’efficacité car un mot qui se termine en « ouille » peut-il vraiment être efficace ? Je dis non; mais il est en revanche digne d’être suranné.