La colle Cléopâtre est dans mon Top 10 des odeurs surannées.
Catégorie : Faits divers
Droguerie [dʁɔɡʁi]
[dʁɔɡʁi] (n. fém. COMMERC.)
Depuis toujours, ce mot sent le souffre. D’une part parce qu’on en trouvait dans ses rayons (mais à quoi cela pouvait-il bien servir ?) et d’autre part parce que sa proximité sémantique avec les interdits le rend suspect.
Qui peut bien avoir eu l’idée saugrenue de le nommer ainsi ?
J’observais avec candeur et admiration les adultes annoncer haut et fort qu’ils allaient à la droguerie, comme ça, tranquillement. Allons quoi ! Ma mère se perdant dans cet univers chaotique et interdit ? Comment était-ce possible ?
Les drogueries ont disparu, emportant avec elle leur lot de mystères, leurs savons de Marseille, leurs teintures à tout faire, leurs bouteilles de couleurs. Quand j’en trouve une sur mon chemin j’y fais un tour pour humer son odeur.
À la revoyure [a la ʁəvwajyʁ]
[a la ʁəvwajyʁ] (exp. FAM.)
Il y a de la gouaille, du poulbot, dans un « À la revoyure« lancé à la cantonade. J’aime bien son aspect rocailleux et respectueux à la fois. C’est un peut-être, un espoir, un rêve d’une prochaine rencontre qui se fera si tout va bien, si le destin le veut.
On le balance en quittant le bar des copains, la partie de pétanque, le baloche du samedi soir. Oui, il y a du Gavroche là-dedans.
À la revoyure les aminches !
Et tout le Saint-Frusquin [e tu lə _sɛ̃tfʁyskɛ̃_]
[e tu lə _sɛ̃tfʁyskɛ̃_] (exp. ET PATATI.)
Faire appel à un raccourci intégrant je ne sais quel truc canonisé (qui est donc ce Frusquin ?) est hautement jubilatoire.Il oblige l’interlocuteur à se projeter dans un monde complexe empli de divinités et de leurs sbires mi-hommes mi-fruits-de-l’imagination, tous le toisant doctement et attendant qu’il se soumette. En ne proposant rien d’autre qu’un vague amalgame limbique, le Saint-Frusquin emporte l’acquiescement.
Nettement plus fort qu’un simple « tu vois ce que je veux dire », le Saint-Frusquin est la quintessence d’une pensée partagée sans être formulée. Quand vous ne savez plus quoi dire, terminez votre phrase en l’invoquant.
Du grand art je vous dis.
Saperlipopette [sapèrlipòpèt]
[sapèrlipòpèt] (exclam. RONDJU.)
Chez ma grand-mère, saperlipopette traduisait le comble de l’exaspération devant le (risible) constat de nos bêtises d’enfants.Une pomme chapardée dans le verger voisin, la porte du jardin demeurée ouverte et les chiens en goguette, la transformation improbable d’un vieux landau en caisse à savon… Toutes ces expériences pouvaient lui arracher un saperlipopette.
C’était alors le signal du repli tactique vers la cabane secrète ou plus loin encore selon l’intensité sonore du juron. Je n’ai compris que bien plus tard que c’était surtout pour nous dire qu’elle nous aimait mais que nos prédispositions à l’exploration du vaste monde risquaient tout de même de faire basculer le fragile équilibre du voisinage.
Une première leçon de real politik en quelque sorte.
Paltoquet [paltɔkɛ]
[paltɔkɛ] (n.m. CON.)
Le paltoquet appelle au soufflet, à la gifle, à la mornifle, au bourre-pif. Son arrogance altière, sa prétention, sa grossièreté en toute attitude en font un être vil. Un dictionnaire des synonymes le traiterait volontiers de « petit con ». Je lui préfère le titre de paltoquet qui dissimule derrière une construction ampoulée (le « pal » peut-être ?) tout le ridicule de l’homme que j’imagine assez facilement engoncé dans une tenue qu’il ne sait même pas porter. Quand on n’a pas les épaules on ne la ramène pas, Môssieur du paltoquet.Picon bière [pikɔ̃ bjɛʁ]
[pikɔ̃ bjɛʁ] (marq. dép. BAR)
Tatataaa. Le Picon Bière c’est suranné comme une chanson de Renaud.Le Picon Bière ça fait le bruit d’une mob’, ça porte un Perfecto et ça se la joue pilier de comptoir. Un mélange à la papa qui n’a jamais fini ringard, une amertume qui fait faire la grimace et plisser les yeux mais un truc incontournable. Une boisson de zinc, avec déhanché, coude posé et pied sur le marchepied.
Le Picon Bière ça sent les bistrots de banlieue, les Père Tranquille ou les Penalty. On est dans la légende à ce niveau.
Grainetier [ɡʁɛntje]
[ɡʁɛntje] (n. com. COMMER.)
Pendant des années j’ai entendu ma grand-mère annoncer qu’elle allait « chez le grain’tier« . Une échoppe tout autant surannée que sa dénomination elle-même. Dans un capharnaüm improbable, elle y trouvait de quoi semer dans son jardin et ainsi nourrir sa famille. Ça sentait une odeur se situant entre la pisse de chat et la sciure, c’était mal éclairé et le patron avait une blouse grise. Et peut-être une petite moustache et une Gitane maïs au bec. C’était bien.Opiner du chef [ɔpine dy ʃɛf]
[ɔpine dy ʃɛf] (verb. 1er gr. OUI-OUI)
Pour toute surannée qu’elle soit, cette expression contient la dose maximale autorisée de sur-interprétation libidineuse qui la rend dangereuse à usiter. C’est ce qui a dû la flinguer. Je veux ici solennellement lui rendre hommage.
Papier carbone [papje kaʁbɔn]
[papje kaʁbɔn] (n. masc. POLIC.)
Punaise, le papier carbone, qui en utilise encore ? Peut-être en trouverait-on une vieille boîte dans un bureau du Quai des Orfèvres mais c’est un lieu que je fréquente très peu. Le papier carbone…
Les plus jeunes n’imaginent pas ce à quoi ils ont échappé. Avec quelle dextérité il fallait se saisir ce cette feuille volante et volage, la glisser subrepticement entre deux de ses congénères encore blanches et vierges, coincer le tout au carré puis introduire le savant assemblage au milieu de rouleaux récalcitrants !
Je vous le dis, la photocopieuse a tué le savoir-faire d’une génération de secrétaires ou de préposés aux procès-verbaux. Qui du coup on les mains propres et le temps pour se faire les ongles. On y a gagné.