Catégorie : Sciences

Découvrir le Pérou à Orléans [dekuvɛʁir le péru a orléan]

Fig. A. Dix mille kilomètres séparent le Machu Picchu de la préfecture du Loiret.

[dekuvʁir le péru a orléan] (loc. verb. QUECHU.)

La recherche de la cité perdue, celle où les Incas se paraient d’or à qui mieux mieux et ne savaient plus que faire du métal fabuleux tant il était commun pour eux, est le but du moindre Pizzaro de pacotille, du premier tonton Cristóbal venu.

Las, le conquérant à la petite semaine ne sait pas qu’il poursuit une chimère et qu’il s’épuise en vain à fouiller les huacas del Inca.

Nul besoin d’avoir fait grandes études pour penser que son obstination frôle la nigauderie, et c’est bien pour cela que l’on s’étonnera de son étonnement quand au final il constatera qu’il y avait maldonne. Avec un tact tout en rondeurs on lui demandera alors s’il a découvert le Pérou à Orléans. L’ingénu mis à nu partagera à cet instant la berlue du berné : yeux ronds et bouche bée, il peine à encaisser l’upercut. C’est que la question rhétorique l’étourdit.

« Tu as découvert le Pérou à Orléans ? » lui fait parcourir en une fraction de seconde les dix mille kilomètres qui séparent le Machu Picchu de la préfecture du Loiret. Et passer de chez Pachacútec à chez Jeanne la Pucelle (les deux vivant à la même époque et possédant un talent commun à bouter l’intrus hors du royaume) en si peu de temps, ça vous hébète le moins bébête.

Dix mille kilomètres séparent le Machu Picchu de la préfecture du Loiret

Soulignons qu’il y a une gentille moquerie derrière cette saugrenue géographie.

La cité centro-ligérienne ne possède même pas une avenue, une rue ou la moindre impasse du Pérou (l’ancienne cité inca perchée sur son promontoire rocheux n’affiche pas plus de boulevard d’Orléans ou de place Jeanne d’Arc mais ceci est une autre histoire), c’est dire si l’on s’en tamponne le coquillard de la cordillère des Andes quand on flâne sur les bords de la Loire. Inutile de s’exciter plus avant : il est impossible de découvrir la moindre trace péruvienne à Orléans. Pas le moindre poncho en alpaga, pas une flûte de pan, pas un bonnet tricoté main.

Celui qui découvre le Pérou à Orléans éclaire une lapalissade. Et s’en trouve fort marri.

Le plus ignorant des modernes Orléanais sait désormais – grâce à son téléphone intelligent géolocalisé – qu’il est loin de la cité perdue et qu’il aura beau creuser la place du Martroi, aucun trésor ne s’offrira à lui. Il peut donc sereinement oublier l’expression.

Ne pas être le lampadaire le plus lumineux du boulevard [nə pa ɛtʁ lə lɑ̃padɛʁ lə ply lyminø dy bulvaʁ]

Fig. A. Lumineux lampadaire de boulevard.

[nə pa ɛtʁ lə lɑ̃padɛʁ lə ply lyminø dy bulvaʁ] (exp. boulev. CON.)

Il faudra attendre que la fée électricité boute l’acétylène hors des becs à gaz qui éclairaient alors les grisettes de Paname en sus de ses trottoirs, pour que le lampadaire se décide à magnifier de sa luminescence intense le moindre quidam déambulant à ses pieds.

Symbole de rayonnement moderne et de l’inéluctable marche du Progrès, le réverbère relié au nouveau réseau électrique va bientôt devenir la marque de la pensée la plus élaborée, de l’idée raffinée, du conseil avisé.

A contrario pour le populo jamais en retard d’une boutade, sa déficience propose plutôt de la capilotade côté ciboulot.

Le poulbot argumentera ainsi auprès du bouché à l’émeri qu’il n’est pas le lampadaire le plus lumineux du boulevard, soit qu’il est loin d’être un phare de l’avancée des sciences et des consciences. L’occulté de la pensée ne s’en vexera point tant il s’avère plus proche d’un amateur de méthane que d’un bénéficiaire des services du Réseau de la Zone Diphasée : l’éclairement n’est pas de son rayon et le bougre se satisfait d’apercevoir jusqu’au bout de son nez lorsque la lumière naturelle décline.

L’expression fort urbaine fait un chemin tranquille, suivant la progression de la Compagnie Parisienne de Distribution d’Électricité qui finira par tout rafler et renvoyer l’allumeur de réverbères sur sa planète (où il croisera d’ailleurs le Petit Prince, mais ceci est une autre histoire).
La déambulation sur les artères aux noms de maréchaux glorieux qui est alors de mise pour parader dans son quartier et jauger de la santé des puissants à l’aune de leur bedaine bombée poussera un temps ne pas être le lampadaire le plus lumineux du boulevard au firmament du fiel fardé.

En concurrence avec la plus tranchante ne pas être le couteau le plus affûté du tiroir ou la plus questionnante ne pas être le pingouin qui glisse le plus loin (l’animal est encore exotique à l’époque, le pôle Nord s’évertuant à refroidir les explorateurs les plus entreprenants), l’expression ne laissera pas sa part dans l’univers de la mise en boîte du ballot.

Elle ne devra sa disgrâce qu’à la diminution des crédits d’entretien de la voirie et de ses mobiliers, la chose ayant pour résultat de rendre aléatoire la fonction éclairante des lanternes urbaines et l’admiration universelle pour la Ville Lumière, mais ceci aussi est encore une autre histoire.

Être taillé à coups de serpette dans une clavicule de grenouille [ètre tajé a ku de serpèt dâz‿ yn klavikul de ɡrenuj]

Fig. A. Étude de la grenouille en cours de sciences nat’.

[ètre tajé a ku de serpèt dâz‿ yn klavikul de ɡrenuj] (loc. scien. ATHLET.)

Les cours de sciences nat’ introduits dans l’enseignement des collégiens et lycéens en 1902 et prodigués dès l’origine par des professeurs passionnés par le miracle du pistil, l’insondable profondeur de l’œil de bœuf et les réflexes vigoureux du batracien écorché, sont sans aucun doute à l’origine de l’expression être taillé à coups de serpette dans une clavicule de grenouille.

Il est en effet nécessaire d’en avoir disséqué de la rainette pour élaborer une telle construction rendant compte d’une condition physique athlétique en devenir.

Car seule une grande expertise en muscles, tendons et autres éléments du corps humain peut justement poser le diagnostic. Là où le quidam s’arrêtera à un constat rapide de défaillance en biceps, triceps et quadriceps, cet ancien élève assidu des cours de monsieur Pichon, professeur de Sciences Naturelles au lycée Henri Poincaré, saura reconnaître le futur vigoureux, le postulant baraqué, le paré pour l’épaulé-jeté.

De son bréviaire fondé sur le scalpel et l’autopsie – jouissive – de Kermit, procède être taillé à coups de serpette dans une clavicule de grenouille et sa force d’évocation unique. Rien ne dit mieux l’airain de demain, le fier pectoral qui n’est encore que mamelon, la cuisse à sculpter.

Cependant, être taillé à coups de serpette dans une clavicule de grenouille n’est pas des plus simples d’utilisation, convenons-en. En dehors d’un traité sur les grenouilles, tritons et reptiles de nos campagnes s’entend. Ou d’une convention sur la musculation chez le sportif adolescent. 

Les multiples réformes des programmes d’éducation sur des sujets de biologie aussi fondamentaux que « Comment on fait les bébés ? », « Dinosaures et météorites : qui c’est le plus fort ? », contribueront très largement à l’entourer d’un voile opaque menant parfois au contresens. Et ce tribu à la langue bien jactée laissé par monsieur Pichon se retrouvera chahuté quand un obscur gratte-papier, rapportant les fulgurances d’un comité Théodule, décidera que « Sciences de la vie et de la Terre » éclairerait efficacement l’avenir des ces Sciences naturelles devenues désuètes.

Pour être taillé à coups de serpette dans une clavicule de grenouille ce sera le coup de grâce.

À la rentrée des classes 1994 l’expression tire définitivement sa révérence aux nouvelles de l’école. SVT impose son acronyme. « Ça fait moderne » dit-on dans les hautes sphères.

Du fond de sa retraite, monsieur Pichon maugrée une dernière fois. Mais plus personne ne l’écoute. Un peu comme à l’époque quand l’élève G. était plus occupé à cacher la grenouille dans le sac US d’Isabelle plutôt qu’à l’équarrir¹. Mais ceci est une autre histoire.

¹La grenouille. Pas Isabelle.

Chercher la petite bête [SèrSé la petit bèt]

Fig. A. Jules Barbey d’Aurevilly, premier chercheur de petite bête connu.

[SèrSé la petit bèt] (loc. point. PÉNIB.)

Atavisme hérité de ces temps immémoriaux où la puce chatouillait la couenne poilue de nos ancêtres sapiens, le grattage frénétique s’est un jour transformé en une expression pointant l’ergoterie comme une manie lassante.

Démêler les queues de singes [démélé lé kö de sêZ]

Fig. A. Singe s’interrogeant sur la complexité du monde.

[démélé lé kö de sêZ] (exp. sim. COMPLEX.)

Avant même que l’homme ne soit homme, en ces temps où le langage n’était que borborygmes et onomatopées émis par des primates encore arboricoles, existaient déjà des problèmes difficiles à résoudre : place sur la plus haute branche, accès privilégié aux bananes les plus mûres, épouillage des plus belles femelles, etc.

Avoir déjà vu neiger [avwar déZa vy néZé]

Fig. A. Homme à qui on ne la fait pas.

[avwar déZa vy néZé] (loc. météo. NAÏV.)

Quelques expressions surannées ont le bon goût de s’adapter à la saison au cours de laquelle elles sont utilisées. Leur emploi nécessite bien entendu une vigilance accrue mais le locuteur désuet est toujours au fait du temps qu’il fait puisque le sujet est souvent introductif pour qui veut tailler une bavette.

Dites 33 [dit trât-trwa]

dites 33

Fig. A. Dites 33.

[dit trât-trwa] (exp. num. MÉDIC.)

René Théophile Marie Hyacinthe Laennec n’était pas un pilier du Balto contrairement à ce que l’appellation médicale de « cirrhose de Laennec » pourrait laisser penser, mais un médecin de grande valeur à qui chaque malade doit l’écoute de ses maux au stéthoscope qu’il inventa, ainsi que le dites 33 qui va avec.

Être un apothicaire sans sucre [ètr ûn- apòtikèr sâ sykr]

Être un apothicaire sans sucre

Fig. A. Apothicaire et ses remèdes au sucre.

[ètr ûn- apòtikèr sâ sykr] (loc. pharm. COMMER.)

C‘est en 1241 que naît officiellement la profession d’apothicaire par la volonté avant-gardiste de Frédéric II, empereur du Saint-Empire, qui signe l’édit de Salerne. Dès lors, médecins et apothicaires exercent chacun de leur côté leur science savante.