[sè bizâs] (exclam. PÉROU.)
Rares sont les villes qui peuvent s’enorgueillir d’avoir porté plusieurs noms dans leur histoire. Il exista en une époque si lointaine que seuls les surannés ne l’ont pas oubliée (et pour cause puisqu’elle est une de leurs expressions exclamatives favorites), une ancienne cité grecque capitale de la Thrace, à l’entrée du Bosphore, un lieu chargé d’encens, de musiques langoureuses et de mystères irrésolus.
Byzance fondée en 667 av. JC, puisque c’est elle dont il s’agit, fut renommée Constantinople en 330 après JC puis Istanbul en 1930. Un changement tous les mille ans ça vous pose sa cité. Et ça suppose surtout que c’est Byzance n’a vraisemblablement pas eu la même signification tout au long de ces siècles.
Quand elle s’appelait Byzance, Byzance commerçait le cuir, les esclaves, le miel, le sel, l’huile et le vin, bref toutes sortes de produits d’époque qui se monnayaient à prix d’or. Autant vous dire que tout allait pour le mieux mais que ses habitants s’attiraient cependant les jalousies de leurs voisins; et à cette époque les jalousies se traduisaient facilement en mesquineries guerrières avec pillage et exactions réglementaires. Byzance vécut ainsi mille ans au rythme de la bonne fortune et de la guerre jusqu’à ce que Constantin 1er décide d’en faire la seconde Rome et surtout la capitale de l’empire.
Flavius Valerius Aurelius Constantinus fait bâtir sa bourgade sur le modèle de la ville éternelle avec sept collines, quatorze régions urbaines, un Capitole, un forum et un Sénat. En toute modestie il décide de baptiser le lieu de son nom, s’assurant de son vivant que la postérité voudra bien l’accueillir. La ville est agréable avec son Grand Palais, son hippodrome dans lequel les chars s’affrontent sur sept tours de piste, sa Mésée, sorte de large avenue prestigieuse bordée de boutiques (un concept qui perdure aujourd’hui), ses palais avec jardins et bains, ses aqueducs, ses colonnes, ses églises. D’aucuns se risquent à dire que Constantinople c’était Byzance et je veux bien les croire.
Jusqu’au 29 mai 1453 (dont vous vous souvenez si vous ne dormiez pas pendant les cours d’histoire en CM2) qui marqua la chute de Constantinople et de l’empire romain d’Orient. Les historiens s’accordent sur le fait qu’à partir de cette date Constantinople ce n’était plus vraiment Byzance. Une civilisation s’écroule.
En 1930 on change tout et on recommence : bienvenue à Istanbul, cité à cheval entre l’Europe et l’Asie, son urbanisme folklorique, ses deux ponts sur le Bosphore, sa mosquée Bleue, le grand bazar et Topkapi. C’est Byzance est loin, très loin…
C’est le langage suranné qui remettra c’est Byzance sous le soleil. Selon certains pédants c’est une réplique théâtrale d’une pièce à succès qui colporta le mot : « Quel luxe ! Quel stupre ! Mais c’est Byzance ! » . Je n’en crois rien, nul n’étant en mesure de me citer le titre de la pièce ou le nom de l’auteur. Il est nettement plus vraisemblable que c’est Byzance nous soit revenue sous la plume de Fernand Trignol, acteur, auteur et surtout spécialiste de l’argomuche¹ avec lequel Louis-Ferdinand Céline avait une querelle de lettres³.
Pantruche ou les mémoires d’un truand (Ed. Fournier, 1946), Vaisselle de Fouille (Ed. de Seine, 1955), Chante et tais-toi (Ed. du Champ de Mars, 1959), Satan est là (Ed. Baudelaire, 1963), n’ont pas été réédités. Ils ont emporté dans la poussière des malles de greniers dans lesquelles ils reposent avec un tas de vieux trucs surannés, le secret de c’est Byzance. Désormais c’est trop cool, c’est le top, mais ce n’est plus Byzance et encore moins le Pérou.
Dommage j’aurais aimé connaître Topkapi ça avait l’air d’être Byzance.