[ne pa ètr a vèrsaj] (loc. géo. EDF)
L‘érection du château qui fit la gloire du quatorzième des Louis installé à la tête du royaume de France (puis des numéros quinze et seize qui lui succédèrent) n’est pas pour rien dans le rayonnement planétaire de notre beau pays par ailleurs producteur officiel de la langue française.
Les deux mille trois cents pièces et soixante trois mille mètres carrés de cette bâtisse méritaient bien un hommage du langage suranné.
Toujours prompt à tancer et maugréer, le bougon avec son vieux fond républicain a donc créé l’expression ne pas être à Versailles, la plupart du temps conjuguée à la troisième personne sous la forme directe « on n’est pas à Versailles »¹ voire « c’est pas Versailles ici ».
Ne pas être à Versailles est une critique à peine voilée de la politique dispendieuse du monarque bâtisseur pour son petit havre de paix dont la galerie des glaces est la figure de proue, éclairée qu’elle est alors par ses trois rangs de lustres, trente deux girandoles et quatre torchères portant cent cinquante bougies chacune. De quoi y voir comme en plein jour.
Plus précisément, ne pas être à Versailles désigne un usage de source artificielle d’éclairage jugé trop important par l’énonciateur (qui est généralement l’administré réglant la facture due à Électricité de France).
C’est là l’une des étrangetés de ne pas être à Versailles : il faudra attendre l’émergence de la fée électricité pour que naisse l’expression, soit plus de deux siècles après l’achèvement du monument. Aucune étude ne fait en effet référence à ne pas être à Versailles pour une autre occasion que ne pas véritablement y être (par exemple lorsqu’on se trouve à Blois ou à Chantilly on pourra aisément dire qu’on n’est pas à Versailles même si cela n’apporte rien à la conversation car on n’est pas plus à Versailles qu’à Paris, Limoges ou Gif-sur-Yvette dans ce cas).
Autre étrangeté, ne pas être à Versailles s’adresse généralement à une personne qui sait pertinemment qu’elle ne se trouve pas à Versailles² (l’ambiguïté existe tout de même pour les habitants de Saint-Cyr-l’École et Le Chesnay). L’allusion à un comportement quasi monarchique d’illumination d’un lieu doit alors être perçue comme un reproche.
En creux, ne pas être à Versailles intime l’ordre d’éteindre les lumières d’une pièce dans laquelle on ne séjourne pas ou de diminuer largement l’intensité lumineuse d’un lieu rendant un hommage ostentatoire à la galerie des glaces sus nommée.
L‘apport de la gestion de chaque instant de la vie via Smartphone fut essentiel pour rendre surannée ne pas être à Versailles.
L’outil permettant d’allumer ou éteindre les lumières à distance et sans le moindre effort, conformément à la doctrine moderne (mais ceci est une autre histoire), permit dès ses prémices domotiques d’éteindre les lampes-du-salon-on-n’est-pas-à-Versailles-nom-de-dieu, de cesser-d’allumer-ta-chambre-quand-tu-n’y-es-pas-ça-commence-à-bien-faire, voire de ne pas se préoccuper de vérifier si-tu-as-bien-coupé-la-lumière-du-garage-avant-de-partir-faut-que-je-pense-à-tout-dans-cette-maison.
Un vrai progrès. Pour l’énergie, pas pour la langue.