[sè ply fòr ke de Zwé o buSô avèk dé pê a kaSté dâ sis pjé de nèZ] (loc. TOP)
Aux confins du suranné, là-bas très loin, dans cette zone d’où très peu d’entre nous sont revenus, se prélassent des expressions si complexes à manier que la plupart des êtres dotés du langage les laissent en paix, incapables qu’ils sont d’assumer leur usage. Certains l’appellent la Bibliothèque noire, d’autres parlent de Dictionnaire du Diable, de Triangle des Apophtegmes, autant de noms qui nous disent qu’on est bien mieux ici.Pour vous j’y suis allé.
Et je vous en rapporte du sérieux et du beau.
C’est plus fort que de jouer au bouchon avec des pains à cacheter dans six pieds de neige compte parmi ces surannés difficiles à placer. J’admets bien volontiers ne l’avoir jamais entendu en dehors de ce fameux Triangle des Apophtegmes. Si vous me dites que vous le pratiquez régulièrement je mange mon chapeau.
De prime abord il laisserait croire à un titre de film de Max Pécas¹, ou mieux à un bon vieux San Antonio, mais il est bien plus que ça, c’est dire. C’est plus fort que de jouer au bouchon avec des pains à cacheter dans six pieds de neige est une locution de 1850 servant à mesurer le degré maximal d’étonnement. Une fois de plus le paroxysme suce la moelle du suranné pour mieux nous stupéfier.
Étonnant de longueur avec ses dix-huit mots, époustouflant de construction littéraire avec son « que de », remarquable de simplicité avec son jeu du bouchon, insolite de proposition ludique grâce à ses pains à cacheter, original d’échelle en usant de six pieds plutôt que d’un mètre quatre-vint trois, c’est plus fort que de jouer au bouchon avec des pains à cacheter dans six pieds de neige est un univers ébaubissant à lui tout seul. À tel point que je me demande si le disséquer ici ne serait pas crime de lèse-majesté.
Je ferai donc dans la retenue. C’est plus fort que de jouer au bouchon avec des pains à cacheter dans six pieds de neige nous dit abracadabrantesque, point barre. Même Garcimore n’est pas plus magique. C’est plus fort que de jouer au bouchon avec des pains à cacheter dans six pieds de neige est l’ultime point d’intensité. Au-delà : rien.
Et je dois vous avouer que j’aime l’idée d’une si grande simplicité exprimée avec tant de complexité. Ça fait douter les pédants et les lettrés ce florilège circonlocutoire et circonvolutionnaire. Tiens, ça aussi c’est plus fort que de jouer au bouchon avec des pains à cacheter dans six pieds de neige. On est au firmament du suranné.