[sè ply fòr ke le ròkfòr] (phra. exclam. FROM.)
Dans l’esprit brumeux et parfois confus des vieux cons surannés à l’écoute altérée, se brouillent des formules dont les unes sont publicitaires et les autres populaires. Ainsi le célèbre slogan datant des années 70, Roquefort d’abord, Roquefort d’accord (l’assonance étant une sorte de Graal dans la publicité celui-ci fut longtemps considéré comme un chef d’œuvre), peut-il être parfois pris pour la locution qui va nous occuper ici.
Pourtant il n’en n’est rien, c’est plus fort que le Roquefort ne devant son succès qu’au goût français pour tout ce qui châtie l’haleine, ce qui est légitime dans un pays qui compte plus de fromages que de jours de l’année, comme l’aurait dit Charles de Gaulle.
L’expression pourrait remonter à 1070, date à laquelle apparaissent les premiers écrits faisant mention du Roquefort. Selon la légende que nous colporterons bien goulûment en ces quelques rigoureux paragraphes, un berger plus occupé à courir la prétentaine plutôt qu’après ses brebis (mais qui pourrait lui reprocher ce comportement exemplaire à l’égard d’animaux ayant eu à pâtir bien trop souvent de l’isolement masculin et de l’entêtement du pâtre à ne pas dormir sur la béquille), un berger donc, aurait un jour oublié dans une grotte son casse-croûte de pain et de caillé de brebis.
Revenu bredouille à sa tanière pour satisfaire sa faim à défaut de sa libido, l’homme au grand bâton recourbé retrouva son fromage travaillé par le Penicillium roqueforti. Le Roquefort était né, CQFD.
Il faudra tout de même patienter six cents ans avant que le Parlement de Toulouse décide solennellement que tous les fromages issus d’autres caves que celles du village de Roquefort-sur-Soulzon ne sont que de vulgaires contrefaçons et donc en aucun cas du Roquefort.
En 1742, notre maître à tous, nous autres encyclopédistes, inscrit dans l’Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers (que son nom soit sanctifié), une définition du Roquefort en le notant « roi des fromages » et « premier fromage de l’Europe ». Mais, l’honnêteté nous oblige à le mentionner, aucune trace alors de c’est plus fort que le Roquefort.
Vers la fin du XIXᵉ siècle, le 35ᵉ Régiment d’Infanterie de Belfort créa une version toute fromagère de la martiale marche militaire Le Régiment de Sambre et Meuse dont vous avez certainement encore la mélodie en tête si vous passâtes quelques étés en colonies de vacances. Entre deux gorgées d’antésite, souvenez-vous, vous chantiez :
🎼🎶Un régiment
De fromages blancs
Partait en guerre
Contre les Camemberts🎶
Le Port-Salut
N’a pas voulu
Car le Roquefort
Puait trop fort🎶
🎶Le Livarot
Portait l’drapeau
Et les p’tits suisses chantaient La Marseillaise🎶
Cependant, rien non plus ne nous prouve fermement que nous devions c’est plus fort que le Roquefort aux biffins du 35ᵉ qui s’y connaissaient plutôt en rugosité si l’on en croit les inscriptions de 1809 Wagram, 1812 Moskowa, 1830 Alger, 1854 Sébastopol, 1914 Alsace l’Ourcq, 1915 Champagne, 1916 Verdun, 1918 Reims, 1944 Résistance Bourgogne et 1952-1962 AFN cousues sur leur drapeau en lettre d’or. Plus prosaïquement ces illustres soldats ont voulu comme devise tous gaillards, pas d’traînards… C’est plus fort que le Roquefort ne semble pas décrire la bravoure militaire au combat; une autre piste qui s’évapore.
L’Histoire se refusant à mentionner le Général de Gaulle pourtant amateur de fromages, comme l’instigateur de c’est plus fort que le Roquefort (ce qui au passage aurait eu autant de gueule que c’est la chienlit), son origine demeurera inconnue.
C’est plus fort que le Roquefort devint nettement suranné sous l’influence moderne des divers fromages à tartiner propulsés dans les cantines par le lobby des anti-AOC (puis propulsés à nouveau au plafond par la cuillère-catapulte de quelques garnements et dignes résistants à la mal-bouffe au rang desquels je ne suis pas peu fier d’avoir pu faire mes classes – mais ceci est une autre histoire).
Le Roquefort ne devint plus la mesure de l’excès qu’il était avec c’est plus fort que le Roquefort, et même s’il n’y a pas de quoi en faire tout un fromage nous regrettons haut et fort cette disparition.