[setɛ ɛ̃ ʁɑ̃de-vu] (titre CINÉ.)
Cinq heures certainement. Six tout au plus. Du matin évidemment. Périphérique intérieur, porte Dauphine. Je surgis du tunnel, on dirait une naissance. Rampe de sortie, le moteur vrombit déjà. On sent que le premier soleil n’est pas très loin. L’urgence et la quiétude à la fois.
Un premier véhicule devant, ses feux sont nets, il disparaît comme nous entrons sur la place Dauphine. Je me glisse entre deux autres voitures, Paris est calme à cette heure là. Je suis seul à rugir.
Virage à droite, il faut bien aborder l’avenue Foch et son immense ligne droite. Pied au plancher. Je me cale au milieu des voies qui remontent l’avenue bordée d’arbres qui dorment encore. Je suis concentré sur ma vitesse je perçois à peine ceux que je croise, ce taxi que je double. Les feux de signalisation sont avec moi; je crois. Deux cents kilomètres heure. L’Arc de Triomphe fait objectif. Il va falloir négocier l’Etoile. Même très tôt elle peut être fréquentée. Je ne rétrograderai pas avant les premiers pavés. Contre-braquer, glisser, filer, à droite les Champs. Moto, cycliste. Tout va bien.
Je plonge sur la mythique. Le plus beau circuit du monde ? Drugstore. Droit devant. L’avenue est vide. Presque. Rond-point, c’est rouge, ça passe. Deux cent dix ? Vingt ? Je ne peux pas savoir, j’ai les yeux rivés sur la Concorde qui arrive. Vire à droite. Ici on a guillotiné le Roi le plus puissant du monde. Vire à gauche, en deuxième. Les Tuileries sont au calme. Ça se rabat mais je passe. Je maîtrise.
Un bus sort du Louvre. Juste à temps. Passage sous les arcades. La sortie est délicate. Pas de visibilité. Mais peu de risques à cette heure ci. Vraiment ?
Palais Royal, accélérer. J’y suis, au bas de l’Opéra. Ces voitures dans l’autre sens, sont-elle garées ou en mouvement ? Pour moi, l’avenue est rouge. Deux ou trois feux. Tant pis. Travaux, un bus. Je dois penser à ralentir, à contourner par la gauche ce monticule. C’était un panneau publicitaire je crois. Encore un bus ; en sens inverse cette fois.
L’Opéra par la droite. Il y a du monde au croisement avec Haussmann. Chaussée d’Antin. La Sainte-Trinité ne bronche pas. Elle me toise goguenarde. Un S fait crisser les pneumatiques. Par la droite. Rue Blanche, appels de phare en face. Je prends Pigalle à droite. Aïe, camion poubelles. Le trottoir est ma chance. Une femme et son chien ont le temps de s’écarter. C’est passé. Ils n’auront pas eu peur.
Ligne droite interminable jusqu’à Pigalle. Les pavés hurlent. J’attaque le boulevard de Clichy. Que de poubelles à cette heure ci ! Les noctambules ne sont plus là. Heureusement ! Le Moulin Rouge, je dois tourner avant. Rue Lepic. Bouchée ! Camion. Tant pis, Clichy.
Poubelles !
Rue Caulaincourt. Je n’aime pas les arbres faméliques à gauche. Je pense à Dali. Leur silhouette peut-être ? C’est trop étroit pour ma vitesse. Je roule plein centre. Gros freinage. Statue d’Eugène Carrière comme point de repère. L’avenue Junot à droite. Un long, très long virage à gauche. Je sens les pavés de la rue Norvin. Toujours aussi étroite. Le croisement avec Lepic. Enfin.
La place du Tertre est harnachée. Elle attend en silence. Le Sacré-Cœur est là. Droite, gauche, j’y suis. Une dernière accélération. Puissante. Vite.
Elle est là, elle est belle. En haut des marches la voici qui surgit. M’aimera-t-elle pour toujours ?
C’était un rendez-vous, le film le plus suranné qui soit, le plus beau aussi de Claude Lelouch. 1976