[la ʃɛz dy lyko] (mod. dép. DESI.)
Elle date de 1923. Sa surannéité est donc validée.
Même si le marketing l’a prise en main depuis qu’elle est fabriquée par Fermob, la chaise du Luco conserve son caractère suranné. Je vous parle de la vraie, de la verte avec son RAL 6013, pas de ses sœurs branchées aux couleurs chatoyantes pour balcon-terrasse bobo mais accueillant quand même.
Vous la connaissez, même si vous ne fréquentez pas le Luxembourg (le parc, pas le pays) vous l’avez vue sur tant de photos, la chaise et ses compères le bridge et le fauteuil bas, ceux que l’on guette quand on arrive trop tard, ceux dont on vire les pieds de l’impudent, touriste ou non, qui croit que ses arpions sont plus précieux que notre séant. Vous voyez ce dont je veux parler…
Cette chaise du Luco est un symbole de surannéité au milieu de ce monde moderne qui aime aller plus vite que la musique. Elle a vu tant d’amoureux se déclarer leur flamme, tant de lecteurs essuyer une larme, tant de rêveurs s’assoupir pour une sieste, peut-être même quelques âmes décider de s’envoler ici, on y est tellement bien quand le soleil nous arrose.
La chaise du Luco possède tant de qualités… Elle est avant tout humaniste puisqu’elle s’offre avec plaisir aux grands, aux petits, aux gros, aux minces, aux laids et aux beaux. Et elle ne rechigne même pas à accueillir Pépette, le chihuahua de Madame Musquin, à condition que tout se passe dans la partie des jardins autorisée aux chiens, cela va sans dire.
La chaise du Luco est aussi la preuve que l’être humain peut s’avérer honnête : elle ne sort jamais des jardins, empruntée par quelque étourdi, elle n’est jamais vandalisée (la vigilance pointue des hommes képi-sifflet contribuant très certainement à ceci, j’en conviens aisément). La chaise du Luco est égalitariste jusqu’au dernier boulon : selon que vous serez puissant ou misérable¹ elle demeurera la même, solidement campée sur ses quatre fers pour bien vous supporter, et elle n’aura que faire des jugements de cour vous rendant blanc ou noir.
Depuis un siècle, la chaise du Luco regarde énamourée Diane chasseresse, romantise avec Eugène Delacroix, s’enivre avec Charles Baudelaire, ou bronze avec Chopin. Elle connait tant de secrets des grands qui dorment sculptés dans ses jardins qu’elle pourrait nous subjuguer, nous expliquant le pourquoi d’un vers qui nous a tant ému, le choix de la couleur subtile d’une toile de maître, la lumière d’une image passée à la postérité sur un papier Kodak. Mais elle reste muette la chaise du Luco. Je crois que ce n’est pas plus mal car elle en connait aussi un rayon sur mes compromissions.